Le royaume est entré dans une zone de turbulences et affronte une succession de chocs auxquels rien ne l’a préparé.
L’Arabie saoudite s’est imposée comme une puissance régionale clef du Moyen-Orient autour de trois principes : la fusion de la dynastie des Saoud avec le wahhabisme, ancrée dans la gestion des principaux lieux saints de l’islam à La Mecque et Médine ; la domination du marché pétrolier à travers l’Opep ; l’alliance stratégique avec les États-Unis, renforcée par la révolution iranienne de 1979.
Longtemps stable, le modèle saoudien n’échappe plus aux secousses de la mondialisation. Le wahhabisme a généré et financé une dérive extrémisme de l’islam qui a donné naissance à al-Qaida et à l’État islamique. L’Opep a perdu le contrôle du marché pétrolier avec l’arrivée de nouveaux producteurs et surtout, la révolution technologique des hydrocarbures non conventionnels qui ont permis aux États-Unis de redevenir le premier producteur mondial. L’axe entre Riyad et Washington a explosé avec les tours du World Trade Center, lors des attentats du 11 septembre 2001, pensés et perpétrés par une majorité de Saoudiens.
L’Arabie saoudite est entrée dans une zone de turbulences et affronte une succession de chocs auxquels rien ne l’a préparée. Choc économique avec la chute du prix du pétrole, tombé de 115 à 30 dollars le baril depuis la mi-2014, mais plus encore le bouleversement durable du marché de l’énergie, sans compter la réduction des matières fossiles actée par la COP 21 à Paris. Choc financier avec un déficit budgétaire de 19 % du PIB, qui contraint le royaume, pour la première fois depuis des décennies, à emprunter (10 milliards de dollars à cinq ans auprès d’HSBC et JP Morgan). Choc social avec la coupure croissante entre la vaste famille royale et une population de 28 millions de personnes, dont 58 % est âgée de moins de 25 ans et au sein de laquelle le taux de chômage atteint 11 %. Choc politique avec l’onde de choc des printemps arabes qui a essaimé jusqu’à Bahreïn et au Yémen. Choc stratégique avec le chaos du Moyen-Orient et la constitution d’un empire chiite qui s’étend de Téhéran à Aden en passant par Bagdad et Damas, redoublé par le rapprochement entre les États-Unis et l’Iran après les accords de Genève sur le nucléaire. Choc idéologique avec la pression croissante des djihadistes sur Riyad et la multiplication des attentats sur le territoire saoudien.
Le constat est clair : soit l’Arabie saoudite se réinvente, soit elle se dirige vers la faillite et la marginalisation face à l’Iran. C’est ce constat qui a conduit le prince Mohammed Ben Salman, le fils du roi Salman, qui s’est affirmé comme l’homme fort du pays, à proposer une véritable révolution du royaume à l’horizon de 2030.
Le pivot du projet de modernisation est économique. L’objectif consiste à lier la diversification de l’activité, notamment en direction des services à haute valeur ajoutée et du tourisme, avec le développement du secteur privé, dont le poids devrait passer de 40 à 65 % du PIB, et notamment des PME, dont l’activité progresserait de 20 à 35 % du PIB. Le financement de la conversion serait assuré en priorité par la création du premier fonds souverain du monde, doté d’une force de frappe de 2 000 milliards de dollars. Ses ressources proviendraient des réserves de change (594 milliards de dollars) et de l’ouverture du capital d’Aramco (cession de 5 % du capital dans un premier temps, évalué entre 100 et 150 milliards de dollars), dans le cadre d’un appel aux investisseurs internationaux.
Le basculement de la rente des hydrocarbures vers une économie de production aurait pour corollaire des changements fondamentaux : la réduction drastique des subventions à la consommation et des transferts sociaux ; la mise en place d’une fiscalité moderne ; la fin du dualisme du marché du travail qui multiplie les prébendes aux jeunes Saoudiens dans le secteur public tout en réservant les emplois productifs privés aux travailleurs étrangers ; la lutte contre une corruption endémique.
Le pari du prince Mohammed Ben Salman est à haut risque. Sa réforme peut entraîner l’explosion de la monarchie.
Et ce d’autant que la concentration des pouvoirs entre les mains du prince provoque de plus en plus d’oppositions au sein même de la famille royale.
Au-delà de la nécessité de transformer les mentalités des Saoudiens face au travail et aux bénéfices sociaux, le plus grand défi est politique et religieux. L’adaptation à l’économie de la connaissance, l’émergence d’une société de services à fort contenu de loisirs, la meilleure intégration des femmes sur le marché du travail s’opposent aux principes rigides du wahhabisme. L’extrémisme sunnite, qui a fourni le terreau du djihad, est inconciliable avec le développement du tourisme et l’attractivité envers les investissements internationaux comme avec la stabilité politique. Pour se construire un avenir après le pétrole, l’Arabie saoudite devra choisir entre la réforme et le wahhabisme.
(Chronique parue dans Le Figaro du 2 mai 2016)