En matière de fiscalité, une nouvelle donne s’impose, fondée sur la lutte active contre la fraude comme sur une taxation effective des activités et des richesses créées dans chaque État.
Les scandales ont pour vertu de jeter une lumière crue sur des vérités cachées. La publication des Panama Papers, soit 11,5 millions de documents issus de la firme panaméenne Mossack Fonseca, qui gère plus de 214 000 structures offshore pour quelque 14 000 clients répartis sur tous les continents, a ainsi mis au grand jour la mécanique d’un des derniers paradis fiscaux. Elle dévoile aussi l’ampleur de la corruption des dirigeants politiques, qui n’est pas l’apanage des autocrates, comme il a été montré en Islande et au Royaume-Uni, et la persistance de la fraude fiscale par des personnalités fortunées.
Simultanément, l’Administration Obama a contourné le Congrès pour durcir les règles de l’impôt sur les sociétés et limiter l’exil des grandes entreprises par des opérations d’inversion fiscale. Enfin, la Commission européenne a présenté un plan d’action pour combattre la fraude à la TVA sur les transactions transfrontalières qui génère plus de 50 milliards d’euros de pertes de recettes. Elle entend également proposer la publication détaillée du chiffre d’affaires et des résultats des entreprises multinationales pays par pays.
Ces faits montrent à l’évidence que, huit ans après la terrible crise de 2008, qui fut près d’emporter le capitalisme mondialisé, la régulation financière et le nouvel équilibre requis entre les États et les marchés sont loin d’être stabilisés. Depuis le G20 de Londres en avril 2009, des réformes et des progrès considérables ont été réalisés. L’OCDE a mis en place un système automatique d’échange des informations fiscales, qui rassemble plus de 130 pays. La situation de la plupart des paradis fiscaux, y compris la Suisse et le Luxembourg, a été normalisée. La lutte contre la fraude, les sanctions applicables et le contrôle des banques ont été nettement renforcés dans le monde développé. Surtout, les États-Unis ont changé la donne en obligeant, à partir de 2010, les banques étrangères à transmettre à leur administration fiscale l’identité, les comptes et les actifs de leurs clients américains. L’Europe a suivi, entraînant un vaste mouvement de régularisation des comptes bancaires détenus à l’étranger.
Les États ont donc spectaculairement repris la main depuis le krach de 2008, mais d’importantes limites subsistent. La situation de Panama -si elle reste aujourd’hui une anomalie en voie de disparition aux côtés de Bahrein, Brunei, Nauru, le Vanuatu, le Botswana ou le Guatemala- témoigne de l’inachèvement tant de la normalisation des paradis fiscaux que de l’apurement des errements passés. Or la terrible secousse de la fin des années 2000 a souligné les risques systémiques qui naissent aux frontières des pays, des secteurs et des acteurs de marché régulés et non régulés. Et la politique économique ne dispose plus d’aucune ressource pour réassurer un nouveau choc compte tenu de la surexposition des banques centrales et du surendettement des États. Mais, par ailleurs, la mondialisation, qui place en concurrence non seulement les entreprises, mais les systèmes fiscaux et sociaux, comme la révolution numérique remettent en question le principe de territorialité de l’impôt et ouvrent des possibilités légales d’optimisation sans précédent.
La fraude et l’évasion fiscales sont des fléaux. Elles faussent la concurrence. Elles génèrent des risques financiers incontrôlables. Elles minent les ressources financières des États, compromettant leur capacité à assurer leurs fonctions régaliennes, à assumer les charges de la protection sociale, à intervenir en cas de choc. Elles sont le meilleur allié de la corruption. Elles participent directement au développement de la criminalité et du terrorisme. Elles exacerbent les populismes, au moment où les démocraties sont confrontées au laminage des classes moyennes, à la montée des inégalités, à la crise financière de la puissance publique, à la délégitimation des institutions et des dirigeants politiques.
Il ne fait donc pas de doute qu’une nouvelle donne fiscale s’impose, fondée sur la lutte active contre la fraude comme sur une taxation effective des activités et des richesses créées dans chaque État. Elle passe par la relance de la coordination au sein du G20, qui s’est relâchée depuis la reprise du monde développé. Mais elle exige aussi le respect de principes fondamentaux : elle doit accompagner et non pas entraver la montée en puissance du capitalisme universel et de la société ouverte ; elle doit garantir le respect de l’État de droit et des libertés publiques par les administrations fiscales ; elle doit prohiber les prélèvements confiscatoires ou antiéconomiques, notamment sur le capital, qui est vital pour financer les investissements et l’innovation de l’ère digitale.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 avril 2016)