Déflation, inégalités sociales, populismes, guerres : autant de fléaux qu’il est urgent de conjurer. La paix et la prospérité ne sont pas acquises.
Le capitalisme universel a surmonté le terrible choc de 2008, grâce à la mobilisation intensive de la politique monétaire et au plan de relance keynésien planétaire engagé en 2009. La croissance économique mondiale fluctue autour de 3 %. Les États-Unis enregistrent leur septième année d’expansion et sont en situation de plein-emploi, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, tandis que la production industrielle avait chuté de 37 % et le chômage touché 25 % de la population active en 1932. Le protectionnisme a été contenu par le G20 alors que les échanges s’effondrèrent des trois quarts au cours de la décennie 1930. Les régimes totalitaires du XXe siècle ont disparu. L’État islamique n’est pas l’Allemagne nazie et l’autocratie russe de Poutine diffère profondément de l’URSS de Staline.
Pourtant, le spectre des années 30 hante notre époque. Nous sommes en effet confrontés à quatre grandes forces qui contribuèrent à la tragédie de l’entre-deux-guerres :
- Au plan économique, la déflation est de retour avec une hausse des prix inférieure à 2 % dans le monde et nulle dans le monde développé. Elle crée la menace d’une spirale à la baisse de l’activité et de l’emploi, des revenus et de l’investissement. Il existe des sources de croissance avec l’essor des pays du Sud, l’ère des données ou la transition écologique. Mais la croissance demeure bridée par le vieillissement démographique, le poids des dettes, la faiblesse des gains de productivité.
- Au plan social, la stagnation des salaires, la montée des inégalités, le choc de la révolution technologique qui pourrait détruire la moitié des emplois d’ici à 2030 atomisent les classes moyennes. Celles-ci ne rassemblent plus que moins d’un Américain sur deux ; un sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté. Le monde continue à compter plus de 200 millions de chômeurs.
- Au plan politique, les démocraties sont paralysées par la colère de leurs citoyens devant l’impuissance de leurs institutions et dévastées par la poussée des partis populistes qui achèvent de les diviser. L’Europe est menacée d’éclatement par le Brexit et plus encore la crise des migrants, qui a fait exploser le couple franco-allemand. La perte de confiance des citoyens des démocraties va de pair avec la fascination d’une partie de leur jeunesse pour le djihad et des partis populistes pour les démocratures. La condition première est de rompre avec l’illusion que la liberté, la prospérité et la paix sont acquises.
- Au plan stratégique, l’ordre de l’après-Guerre Froide bascule dans le chaos. Les passions nationalistes et le fanatisme religieux se déchaînent. La guerre effectue un retour en force, alors que les États-Unis ne veulent plus être le gendarme du monde, ouvrant un formidable espace à l’État islamique et aux ambitions des nouveaux autocrates chinois, russe et turc. L’Europe reste incapable d’assurer sa sécurité. Il est donc grand temps de tirer les enseignements de la catastrophe des années 30.
La priorité doit être donnée à la lutte contre la déflation. Jacques Rueff affirmait qu’« il n’est pour une économie pire danger que l’inflation, à l’exclusion toutefois de la déflation ». La sortie de récession du capitalisme universel ne doit pas être confondue avec la sortie de crise. Les banques centrales ont fait leur travail. Il reste aux États à assumer leurs responsabilités. Or, pour l’heure, c’est la Chine qui réforme de la manière la plus efficace son modèle économique. La vitalité américaine est admirable, mais il n’est pas possible de moderniser une nation libre sans leadership et sans projet politiques.
La politique doit donc se réconcilier avec l’action pour restaurer sa crédibilité. Elle doit se décliner en vision et non pas en catalogue de mesures, en projet et non en postures, en responsabilité et non en séquences de communication. Les passions collectives peuvent être désarmées à condition de montrer que le progrès par la réforme est à portée de main. Les institutions démocratiques peuvent être revitalisées par les nouvelles technologies. Le capitalisme a vocation à être stabilisé par des accords croisés entre les grands pôles qui le structurent. L’État islamique sera vaincu par une stratégie associant riposte militaire, alignement des intérêts diplomatiques, répression économique et financière, lutte cybernétique et idéologique.
La condition première consiste à rompre avec l’illusion que la liberté, la prospérité et la paix sont acquises. Churchill rappelait qu’« un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Cessons d’être tétanisés par nos peurs et mettons-nous au travail pour conjurer le retour des fléaux des années 30.
(Chronique parue dans Le Point du 29 mars 2016)