La démonstration de force de l’État islamique met en lumière la vulnérabilité de l’Europe. Elle ne peut persister dans le déni et doit réagir.
Après Paris et Copenhague, Bruxelles a été la cible de la terreur de masse déployée par l’État islamique. Le mode opératoire témoigne du changement de nature et d’intensité du terrorisme. La simultanéité de frappes, dans des lieux publics très fréquentés et faiblement protégés de capitales européennes, témoigne d’un très haut degré de planification stratégique et de coordination opérationnelle. Le moment choisi, alors que les autorités gouvernementales et policières se félicitaient de la capture de Salah Abdeslam, démontre la capacité de réaction de l’État islamique et souligne notre vulnérabilité. Les cibles désignées
- l’aéroport de Zaventem et la station de métro Maelbeek, à quelques centaines de mètres du siège des institutions européennes – visent, au-delà de la Belgique, l’Europe, ses valeurs démocratiques et ses principes de libre circulation des biens et des personnes.
La démonstration de force de l’État islamique s’inscrit dans son redéploiement vers les théâtres extérieurs de l’Afrique du Nord et de l’Europe, qui accompagne son recul en Irak et en Syrie. Avec quatre priorités. Compromettre la timide reprise économique par la reconstitution de barrières aux échanges (la suspension de Schengen coûtant un point de croissance) et par l’installation d’un climat de peur et d’incertitude. Conforter l’emprise sur une partie de la jeunesse en amplifiant le recrutement de djihadistes (7 000 à 8 000 se sont engagés en Syrie, dont un quart sont morts et 1 500 sont revenus en Europe). Terroriser la population et instaurer un climat de guerre civile et religieuse. Initier, à partir de la décomposition de l’espace de Schengen, une dynamique de désintégration de l’Union.
Le constat est tragique. L’Europe, tout à son rêve de sortie de l’histoire, ne se veut pas et ne se reconnaît pas d’ennemi. Mais elle se trouve confrontée avec l’État islamique à un ennemi qui lui a déclaré une guerre totale visant la destruction de ses valeurs et de sa civilisation. L’Europe ne peut persister dans le déni. Elle joue non seulement la poursuite de son intégration mais sa survie. Elle ne peut, sauf à sacrifier sa liberté, rester un vide de sécurité alors qu’elle est cernée par des menaces qui vont des États baltes au Maroc, que son territoire et ses citoyens sont frappés par des attentats meurtriers, qu’une partie de sa jeunesse est embrigadée par ses ennemis.
Cette nouvelle donne appelle un complet renversement stratégique. Depuis soixante ans, l’Europe s’est construite par le droit et le commerce contre la guerre, faisant de sécurité une variable d’ajustement. Aujourd’hui, une priorité absolue doit être donnée à l’élaboration et à la déclinaison opérationnelle d’une stratégie de sécurité européenne. Il est vrai que les États restent seuls compétents dans le domaine de la sécurité, régalien par excellence. Mais les attentats de Paris et Bruxelles prouvent que la menace ignore les frontières. Les interactions et les effets d’enchaînement sont aussi puissants dans le domaine du terrorisme que dans celui de la finance au sein de la zone euro. La solidité de l’ensemble ne vaut que par son maillon le plus faible : la Grèce pour la dette publique ; la Belgique pour la sécurité en raison de son rôle de sanctuaire des islamistes et de la faiblesse de son État.
Que voulons-nous faire ? Protéger la population, les infrastructures essentielles, le territoire et les frontières extérieures de l’Union tout en stabilisant sa périphérie. Que devons-nous faire ? Créer dans chaque pays un état-major en charge de la lutte contre l’islamisme rassemblant renseignement, police, justice et armée, et les coordonner. Reprendre le contrôle des frontières extérieures en renforçant les forces nationales par un corps de garde-côtes et de garde-frontières européens (Frontex est doté de 145 millions d’euros, contre 32 milliards de dollars pour le Homeland Department aux États-Unis). Sécuriser l’espace de Schengen en activant enfin les échanges de données qui sont aujourd’hui limités à celles qui transitent par les États-Unis. Mettre fin à l’accueil anarchique des réfugiés, aujourd’hui infiltrés par plusieurs centaines de djihadistes, en créant un Commissariat européen, en unifiant le droit d’asile, en reconduisant tous les candidats non enregistrés. Engager une politique de codéveloppement en direction de l’Afrique du Nord, notamment de la Tunisie. Réarmer en respectant la norme Otan, qui prévoit d’affecter un moins 2 % du PIB à l’effort de défense.
Ceux qui veulent détruire l’Europe pour les valeurs qu’elle incarne soulignent par défaut son identité et sa communauté de destin. Il nous faut retrouver le courage de défendre nos démocraties en produisant de la sécurité pour leurs citoyens et non pas seulement des normes. Renouons avec l’héroïsme de la raison pour combattre l’islamisme radical, sans haine mais sans répit, jusqu’à son éradication.
Cette chronique est publiée simultanément par sept quotidiens européens