La transition chinoise constitue un défi sans précédent depuis les manifestations de Tiananmen en 1989.
En plein ralentissement de l’économie mondiale, alors que les secousses s’accumulent dans les pays émergents, après les krachs de la Bourse de Shanghaï d’août 2015 et janvier 2016, Xi Jinping, par la voix de son premier ministre Li Keqiang, a confirmé la priorité au développement et à la réforme du modèle chinois. Mais la stabilité politique et économique de la Chine a pour pendant des pressions croissantes sur le système international.
Au terme de ses Trente Glorieuses au cours desquelles l’activité a progressé de 9,7 % par an, la Chine entend poursuivre son atterrissage en douceur. Ses objectifs restent ambitieux. En termes quantitatifs avec une croissance de 6,5 % par an et la création de 50 millions d’emplois supplémentaires d’ici à 2020. En termes qualitatifs avec la conversion d’un développement intensif tiré par l’industrie et l’exportation vers un modèle privilégiant la consommation de la nouvelle classe moyenne, les services à forte valeur ajoutée et la protection de l’environnement.
Tirant les leçons des grands plans de relance qui ont fait exploser les dettes publiques et privées (242 % du PIB) tout en favorisant la constitution de bulles spéculatives dans l’industrie, les infrastructures, l’immobilier et la finance, la stratégie chinoise associe des mesures ciblées de soutien de l’activité et des réformes structurelles.
Afin d’éviter un atterrissage brutal, les instruments budgétaires et monétaires traditionnels continueront à être activés : la baisse des charges des entreprises à hauteur de 500 milliards de yuans portera le déficit entre 3 et 4 % du PIB et la dette publique autour de 48 % du PIB en 2020 ; la masse monétaire augmentera de 13 % du fait de la baisse des réserves obligatoires et des taux d’intérêt. Mais ils seront associés à des mesures drastiques de reconfiguration de l’offre : recentrage des investissements vers les seules opérations utiles au développement de long terme ; restructuration des entreprises d’État, dont la profitabilité plafonne à 4 % contre 11 % pour le secteur privé, débouchant sur 5 à 6 millions de licenciements dans les industries du charbon et de l’acier en contrepartie d’un programme d’aide de 100 milliards de yuans pour indemniser leurs salariés ; lutte contre les bulles spéculatives, y compris par l’installation des quelque 270 millions de travailleurs migrants dans les 452 millions de mètres carrés d’immeubles vides ; internationalisation du yuan avec l’ouverture récente du marché obligataire aux investisseurs étrangers.
La transition chinoise constitue pour la stabilité de la Chine et le Parti communiste un défi sans précédent depuis les manifestations de Tiananmen en 1989. Xi Jinping n’entend pas se limiter au mandat de dix ans qui lui a été confié et déploie, à l’image de Vladimir Poutine, un culte de la personnalité pour se maintenir en jouant sur la crainte du désordre et l’exacerbation du nationalisme. La lutte contre la corruption a permis de renforcer la mainmise du parti sur la société comme sur l’armée, qui va être professionnalisée tout en perdant 300 000 hommes. Sur le plan économique, la transition est compliquée par l’absence de transparence sur la gouvernance et les performances réelles de la Chine qui alimente les craintes des entrepreneurs et des investisseurs.
D’où le tournant qui voit Pékin, après avoir contribué à éviter une dépression mondiale en 2009 à travers un plan de relance portant sur 40 % de son PIB, exporter ses risques vers le monde développé et tenter de se doter d’une zone de protection en Asie. La conversion du modèle économique s’accompagne d’un ensemble de mesures protectionnistes. Sur le plan stratégique, Pékin répond en Asie à la signature du TPP par les Routes de la soie tout en poursuivant son expansion en mer de Chine, depuis le projet de tunnel sous-marin vers Taïwan pour annihiler ses velléités d’indépendance jusqu’à la multiplication des îlots artificiels et à l’installation de bases aériennes, stations radars et systèmes de missiles dans les archipels des Paracels et des Spratleys. Avec pour objectif d’ériger la mer de Chine en barrière stratégique et de repousser les États-Unis vers l’autre rive du Pacifique.
Xi Jinping poursuit donc, dans un environnement beaucoup plus heurté, la conversion du modèle chinois. La priorité donnée aux réformes va de pair avec le durcissement idéologique à l’intérieur et des relations beaucoup plus conflictuelles avec le reste du monde. Au risque de voir l’absence de liberté entraver la course à l’innovation et l’exacerbation des nationalismes détruire la mondialisation qui a permis la renaissance de la Chine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 mars 2016)