L’Europe cède aux passions et aux émotions au lieu de se moderniser et de s’unir.
Charles Péguy rappelait que « le triomphe des démagogues est provisoire mais les ruines sont éternelles ». L’Europe paie le prix fort pour l’avoir oublié. Au moment d’affronter simultanément la déflation, la déstabilisation des classes moyennes, la plus importante vague migratoire depuis 1945, le renouveau des menaces sur sa sécurité, elle renouvelle les erreurs tragiques commises dans les années 1930 : elle cède aux passions et aux émotions au lieu de se moderniser et de s’unir.
Loin d’être l’apanage des anciennes démocraties populaires, telles la Hongrie de Viktor Orban ou la Pologne de Jaroslaw Kaczynski, la démagogie se répand sur tout le continent. Loin d’être le monopole des partis populistes, elle gagne les forces politiques traditionnelles.
Au Royaume-Uni, la dérive trotskiste du Parti travailliste de Jeremy Corbyn a pour contrepoint le déchirement du Parti conservateur autour du référendum sur le Brexit. David Cameron a ouvert pour des raisons strictement partisanes la boîte de Pandore. Il se voit pris à son propre jeu par Boris Johnson qui s’est engagé en faveur du Brexit. La probabilité est désormais forte que les Britanniques choisissent de sortir de l’Union et que le maire de Londres succède à David Cameron. Mais au prix d’un triple désastre pour la City, pour le Royaume-Uni, dont l’économie et l’unité seront compromises, et pour l’Europe menacée de désintégration.
En Grèce, Alexis Tsipras est rattrapé par son inconséquence. Malgré l’accord intervenu avec l’Europe, l’économie ne parvient pas à redémarrer. De même, en matière d’immigration, le premier ministre grec a supprimé tout contrôle aux frontières terrestres et maritimes avec la Turquie et toute distinction entre migrants et demandeurs d’asile. L’Autriche et les pays des Balkans n’ont pas manqué de rendre à Athènes la monnaie de sa pièce en fermant leurs frontières. La Grèce qui voit affluer sur son territoire 133 000 migrants depuis le début de l’année n’est plus une zone de transit mais un cul-de-sac. Sa transformation programmée en vaste camp de réfugiés compromet le tourisme qui constitue sa première ressource tout en menaçant de la faire basculer dans l’anarchie, au risque d’amener au pouvoir les néonazis de l’Aube dorée.
Les autres pays de la zone euro, bénéficiaires de l’aide internationale, se trouvent dans une impasse politique. Au Portugal, la coalition de gauche conduite par Antonio Costa a renversé le gouvernement réformateur de Pedro Coelho et déstabilise la fragile reprise. Dix semaines après les élections, l’Espagne reste en quête d’un gouvernement en raison de l’obstination de Pedro Sanchez à mettre en échec Mariano Rajoy et à conclure une impossible alliance avec Podemos. Malgré une croissance de 7 % en 2015 et une division par deux du chômage, l’Irlande est aussi ingouvernable depuis les élections du 26 février en raison de la poussée des partis extrémistes.
En France, François Hollande est en passe d’être broyé par la démagogie de sa campagne de 2012. Le choc fiscal a bloqué la croissance, l’investissement et l’emploi. L’étatisation du pays a provoqué la révolte des citoyens qui se partagent entre colère, désengagement et exil. La faiblesse du leadership, le décrochage économique et la montée du Front national ont isolé et marginalisé notre pays. L’ultime tentative d’engager la modernisation du marché du travail alors que le chômage touche 5,7 millions de personnes est vouée à l’échec car elle ne réunit aucune des conditions du succès : forte autorité politique, inscription dans un projet de redressement cohérent, soutien des forces économiques et sociales, pédagogie préalable des citoyens. Le règne de la démagogie débouche sur le chaos.
Angela Merkel reste le seul dirigeant politique européen responsable, qui dispose d’une ligne directrice et tente de prendre en compte l’intérêt du continent. Mais elle est très affaiblie par son erreur initiale d’une position humanitaire déconnectée de la politique et de la stratégie qui a provoqué un flot incontrôlé de réfugiés.
Pourtant la solution aux maux européens est possible. Réforme des modèles nationaux et des institutions de la zone euro. Soutien à l’investissement et à l’innovation contre la déflation. Unification du droit de l’immigration et de l’asile. Contrôle et répartition des migrants. Surveillance des frontières extérieures de l’Union, protection des infrastructures et de la population.
Les démagogues ne laisseront que des décombres. Ils défont les nations en démantelant l’Europe. Ils multiplient les contresens historiques et mettent en risque leurs peuples qu’ils exposent davantage aux chocs du XXIe siècle. Au bout du compte, c’est toujours le citoyen qui finit par régler la lourde addition que laissent leurs mensonges et leur irresponsabilité. Voilà pourquoi c’est au citoyen qu’il revient au premier chef de les empêcher de nuire en refusant de s’abandonner à leur fatale séduction.
(Chronique parue dans Le Figaro 07 mars 2016)