Huit ans après la crise de 2008, l’année 2016 connaît un krach larvé. Faut-il paniquer ? Non. Mais agir vite.
- Le ralentissement de la Chine marque la fin de ses Trente Glorieuses, avec la division par deux de la croissance (4 à 5 % contre 9,7 % au cours des trois dernières décennies). Or Pékin gère désormais 15 % du PIB de la planète. La transition d’un modèle fondé sur l’industrie et l’exportation vers les services et le marché intérieur se poursuit. La priorité donnée à la réduction des dettes publiques et privées, qui s’élèvent à 240 % du PIB, est activement mise en œuvre. Mais la montée en puissance de la consommation intérieure est lente en l’absence de généralisation de la protection sociale. Et le durcissement du régime provoque des fuites massives de capitaux : elles ont dépassé 500 milliards de dollars en 2015.
- Les émergents, qui ont assuré les trois quarts de la croissance mondiale depuis 2000, sont frappés par le contre-choc pétrolier, par la chute de la croissance et par leur surendettement (58 000 milliards de dollars, soit 200 % de leur PIB). Près de 800 milliards de dollars ont fui leurs marchés en 2015.
- Les stratégies de reflation impulsées à partir de 2008 pour éviter une dépression mondiale se sont traduites par l’émission de 200 000 milliards de dollars de dettes. La dette publique des pays développés a augmenté de 40 points de PIB pour atteindre 120 % de leur richesse. Les entreprises ont profité de la chute des taux pour recourir massivement à l’emprunt, y compris avec des garanties implicites des Etats. Dans un environnement de croissance très molle et d’inflation nulle, une partie importante de ces dettes ne pourra être remboursée. Elle devra être restructurée ou donnera lieu à des défauts en cascade. Les banques centrales ont fait leur devoir après 2008 en évitant une déflation mondiale. Il reste aux Etats à faire le leur.
- Les banques sont laminées par l’installation durable des taux zéro, par le carcan des régulations malthusiennes et par la pluie d’amendes (près de 300 milliards de dollars) qui leur ont été infligées. Contrairement aux Etats-Unis, les banques européennes n’ont été ni restructurées ni recapitalisées. Elles sont soumises à une supervision et des règles absurdes dites de bail in, qui les coupent de leurs financements. Le champ est laissé libre à leurs concurrentes américaines, pourtant directement responsables du désastre de 2008, qui monopolisent les clients et les opérations les plus rentables. Le suicide par l’Europe de ses banques constitue ainsi une des raisons majeures de l’effondrement de l’investissement sur notre continent.
- Enfin, la spectaculaire remontée des risques géopolitiques aggrave les tensions économiques et financières. Les empires autocratiques – Chine, Russie, Iran et Turquie – cherchent à engranger le maximum de gains pour profiter du déficit de leadership de Barack Obama. Chaos du Moyen-Orient, guerre entre sunnites et chiites, djihad planétaire : face à la recrudescence de ces menaces planétaires, les Etats-Unis s’enferment dans leur isolationnisme et l’Europe se divise autour de l’austérité ou des migrants, tout en risquant la désintégration avec le Brexit.
De même que 1937 n’a pas été la réédition de 1929, 2016 n’a pas de raison de rejouer le terrible krach de 2008. La reprise des Etats-Unis résiste. L’Europe redémarre progressivement. La Chine atterrit en douceur sans basculer dans la récession. Le contre-choc pétrolier fait plus de 6 milliards de gagnants au sein de la population mondiale contre 1 milliard de perdants. Les hydrocarbures non conventionnels ne constituent pas de nouvelles subprimes. L’exposition des banques n’est en rien comparable à ce qu’elle était en 2007. Mais il faut cesser de croire que l’on peut traiter des problèmes structurels de solvabilité par des injections temporaires de liquidités.
Les banques centrales ont fait leur devoir après 2008 en conjurant le risque d’une déflation mondiale. Il reste aux marchés et surtout aux Etats à faire le leur. Du côté des marchés, il est urgent de désarmer la reconstitution des bulles spéculatives. Du côté des Etats, cinq priorités émergent : les réformes structurelles pour relancer l’investissement ; la libération du système bancaire ; la lutte contre le protectionnisme ; la coordination des politiques au plan mondial comme au sein de l’Europe ; la stabilisation de l’environnement géopolitique. Il en va en définitive des krachs comme du terrorisme : subir, c’est la certitude de la débâcle ; gérer activement les risques, c’est la voie pour surmonter les chocs et assurer la survie des nations libres.
(Article paru dans Le Point du 18 février 2016)