Corruption, fraudes, matchs truqués. Il est temps que le sport cesse d’être une zone de non-droit.
L’année 2016, marquée par le déroulement des Jeux olympiques à Rio et de l’Euro en France, promettait de faire date dans la légende sportive. Elle risque fort de rester dans l’Histoire non pour des exploits mais pour les scandales sans précédent à l’ombre desquels se dérouleront ces compétitions.
Le sport ne peut s’immuniser contre les risques globaux du XXIe siècle. Les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France ont rappelé qu’il était une cible prioritaire pour le terrorisme islamiste. Le sport est cependant moins menacé par les chocs extérieurs que par ses propres dérives. Dans les années 50, Albert Camus pouvait affirmer : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois » ; aujourd’hui, il écrirait : « Ce que je sais de la corruption, c’est au sport que je le dois. »
L’année 2015 reste d’abord marquée par la chute de l’autocratie kleptomane qu’est devenue la Fifa. Sepp Blatter, réélu en mai pour un cinquième mandat après avoir été pendant quarante ans salarié de l’organisation, a érigé le dessous-de-table en principe de gouvernance. Depuis son élection en 1998, les sommes détournées à l’occasion de l’attribution de la Coupe du monde sont estimées à plus de 150 millions de dollars. Elles ont culminé avec le choix du Qatar en 2018 et de la Russie en 2022. Seule l’intervention de la justice américaine a réussi à briser le mur de l’impunité et à contraindre Blatter à la démission. Il a entraîné dans sa chute Michel Platini.
De manière plus anecdotique, l’équipe de France de foot s’est à nouveau distinguée dans le domaine des faits divers. La fréquentation assidue de prostituées mineures n’a été abandonnée qu’au profit d’un mauvais remake de « Sexe, mensonges et vidéo », avec l’affaire de la « sextape » de Mathieu Valbuena doublée de la tentative de chantage organisée autour de Karim Benzema. Face à une tentative d’extorsion de fonds, Noël Le Graët s’est contenté d’écarter provisoirement Benzema de la sélection tout en déplorant des « comportements de cour de récréation ». Quel éducateur peut encore être crédible pour encadrer des jeunes quand des dirigeants font preuve d’un tel mépris pour le droit ?
L’athlétisme n’est pas en reste. L’ancien président de l’IAAF, Lamine Diack, a benoîtement avoué avoir reçu de la Russie 1,5 million d’euros pour financer la campagne de Macky Sall contre Abdoulaye Wade lors de la présidentielle de 2012 au Sénégal. Et ce en échange de la garantie du silence autour du dopage d’État organisé en Russie. La situation serait en tout point comparable au Kenya. Cela a conduit l’Agence mondiale antidopage à dénoncer une « véritable culture de la corruption, partie intégrante de l’IAAF ».
Pour faire bonne mesure, ont également été mis au jour l’an dernier le recours à des matchs arrangés dans le tennis, après le handball, ainsi que la revente au prix fort des billets gratuits attribués aux fédérations par les dirigeants du tennis ou du rugby. Enfin, Bernie Ecclestone, le parrain de la F1, a choisi de transiger en versant 100 millions de dollars afin d’échapper à son procès pour corruption en Allemagne.
Cette invraisemblable accumulation d’affaires montre, au delà de l’ambition démesurée des athlètes et de l’avilissement de nombre de dirigeants, qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du sport. L’explication est simple. Le sport a conservé les règles et les mœurs du monde amateur alors qu’il se professionnalisait, qu’il se financiarisait et qu’il se mondialisait. Il ne dispose ni des principes, ni de la gouvernance, ni des compétences nécessaires pour garantir son éthique. Il a érigé une bulle en dehors du droit et au-dessus des nations, qui permet au CIO ou aux fédérations les plus puissantes de s’assurer des droits colossaux (4 à 6 milliards de dollars pour la Fifa lors d’un Mondial, 1 milliard d’euros pour l’UEFA lors d’un Euro), tandis que tous les coûts et les risques sont supportés par les pays ou les villes qui accueillent les compétitions. Le sport affiche un chiffre d’affaires annuel de 500 milliards de dollars, sur lequel se greffe le développement de l’e-sport (500 millions de dollars de revenus). Il constitue l’un des très rares secteurs d’activité qui résiste à toutes les crises. La poursuite de ce formidable essor est désormais suspendue au rétablissement de la crédibilité des compétitions. Elle suppose une véritable révolution, fondée sur sa réintégration dans l’État de droit.
Le sport professionnel est une activité économique qui entre dans le droit commun des sociétés, du commerce ou de la Bourse ; il doit être contrôlé par la puissance publique pour garantir la régularité des compétitions ou éviter la fraude sur les paris. Les fédérations doivent revoir de fond en comble leur gouvernance. Les orientations politiques doivent être dissociées du management ainsi que des contrôles sur les sanctions des athlètes, la prévention du dopage ou l’origine des fonds. Ceux-ci doivent être confiés à des instances indépendantes financées par les droits des médias. La gérontocratie corrompue qui règne en se cooptant doit être activement combattue par le contrôle des élections, par l’introduction systématique de limites d’âge et de cumul des mandats dans le temps, par la déclaration et le suivi du patrimoine des dirigeants. Enfin, la justice doit être rétablie dans tous ses droits pour réprimer les dérives criminelles et mafieuses.
Le sport est une activité beaucoup trop sérieuse pour rester le monopole des sportifs.
(Chronique parue dans Le Point du 17 février 2016)