Le Brexit ? Une impasse pour les Britanniques, un risque pour l’Europe. Une chance pour la France si…
Loin d’être désarmée par la perspective d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, la machine infernale du Brexit s’emballe à l’approche du référendum. Elle constitue un risque majeur de l’année 2016 pour l’Europe comme pour le Royaume-Uni. David Cameron lui-même pourrait compter parmi ses victimes en étant contraint à la démission en cas de victoire du Brexit. En prétendant ressouder autour de lui les conservateurs britanniques, David Cameron a lancé une dynamique de désintégration dont il a perdu le contrôle.
Le référendum britannique constitue un tournant pour l’Europe, dont il va décider du destin en préservant l’acquis de soixante ans d’intégration ou en précipitant son éclatement. Or il se déroulera dans les pires conditions. L’Europe n’a jamais été aussi affaiblie. Elle subit une série de chocs sans précédent avec les séquelles des crises de 2008 et de l’euro, l’arrivée au cours de 2015 d’une vague de 1,3 million de migrants, le terrorisme islamiste et le réveil des empires russe et turc. Elle est minée par les populismes et divisée entre le nord et le sud autour de l’austérité ainsi qu’entre l’ouest et l’est autour de l’accueil des réfugiés. Enfin, elle ne dispose plus d’aucun leadership depuis que l’autorité d’Angela Merkel s’est dissoute dans la crise des migrants.
Le Royaume-Uni, pour sa part, connaît un ralentissement qui s’est traduit par le recul de la croissance de 2,9 % en 2014 à 2,2 % en 2015. Le retour au plein-emploi n’a pas empêché le déchaînement des populismes qui s’incarnent dans Ukip, mais aussi dans le basculement du Labour à l’extrême gauche sous la houlette de Jeremy Corbyn.
La tactique de David Cameron, fondée sur la recherche d’un accord avec l’Union, conçu à la fois comme un préalable au référendum et un antidote au Brexit, se voulait habile. Elle se révèle une impasse. Ses demandes sont à la fois inacceptables pour ses partenaires européens et dérisoires pour les partisans du Brexit. Autant le principe d’une Union plus compétitive peut faire consensus, autant un compromis est impossible sur la discrimination entre citoyens européens pour l’accès aux droits sociaux ou encore la reconnaissance d’un droit de veto au Parlement britannique pour tout renforcement de l’intégration européenne. La zone euro, en particulier, ne peut accepter une telle épée de Damoclès. Le Royaume-Uni a souhaité ne pas participer à la monnaie unique ou à l’espace Schengen ; il ne peut s’en prévaloir pour exiger un droit de regard sur eux. Les demandes de David Cameron aboutiraient à défaire l’Europe sans restaurer la souveraineté britannique.
Le Brexit relève de ces événements tragiques car désastreux, sans nécessité ni raison, mais inarrêtables une fois lancés. Il constitue un terrible saut dans l’inconnu. Pour la City, qui est la place financière de la zone euro. Pour l’économie britannique, qui effectue la moitié de son commerce avec l’Europe. Pour le Royaume-Uni, qui pourrait éclater avec la sécession de l’Ecosse. Pour l’Union européenne, qui perdra un de ses pôles de stabilité.
David Cameron doit donc assumer seul les conséquences de sa démagogie. Le choix du cavalier seul est suicidaire pour une nation qui représente 1 % de la population mondiale, 3,5 % de la production de la planète et qui ne figurera plus dans les dix premières puissances en 2030. La dynamique de la sécession se retournera contre le Royaume-Uni, qui se réduira à la petite Angleterre.
Au lieu de donner des gages à David Cameron, l’Union européenne doit accélérer la consolidation de la zone euro, relancer le grand marché dans les services, investir massivement dans la sécurité de son territoire et de sa population.
La France doit pour sa part se préparer activement au Brexit en déployant une offre attractive pour les talents, les entreprises et les capitaux qui quitteront le Royaume-Uni afin de pouvoir opérer en zone euro. Le Brexit ne doit pas faire seulement la fortune du Luxembourg, de la Belgique, voire de la Suisse. Il peut être un levier pour le redressement de la France, et notamment pour la place financière de Paris, aujourd’hui moribonde puisque reléguée au 37e rang mondial, derrière Johannesburg. Catastrophique pour le Royaume-Uni et pour l’Europe, le Brexit pourrait du moins bénéficier à la France si elle réalisait à cette occasion que la finance est notre meilleure amie.
(Chronique parue dans Le Point du 10 février 2016)