Quand les banques américaines ont surmonté la crise de 2008, les grandes banques européennes dévissent. La conséquence de « six chocs » qui ont abouti à une situation de blocage.
En 2008, la faillite de Lehman Brothers créa un effondrement mondial du crédit qui fut très proche de provoquer une seconde grande déflation après celle des années 1930. Elle demeure le symbole de l’expansion débridée du système bancaire américain et des conséquences de sa dérégulation. Sept ans après, les banques américaines, restructurées et recapitalisées, dégagées des séquelles des crises passées avec des provisions divisées par cinq, dominent le monde. Les cinq premières d’entre elles ont réalisé 59 % des principales opérations financières contre 48 % en 2009. Mieux, elles ont piloté 22 % des émissions obligataires libellées en euro contre 8 % en 2010.
À l’inverse les banques européennes poursuivent leur interminable chemin de croix. Leur part de marché dans les transactions majeures a été réduite à 31 %. En juin 2015, HSBC annonçait la suppression de 50 000 emplois, la réduction de ses actifs de 25 % et son recentrage vers l’Asie. Depuis le début du moins d’octobre, Deutsche Bank a procédé à 5,8 milliards d’euros de dépréciations dans ses comptes, Credit Suisse a annoncé une augmentation de capital de 8 milliards de francs suisses, Standard Chartered s’est engagé à licencier 4 000 de ses banquiers seniors, les banques espagnoles réduisent la voilure pour anticiper le basculement de l’Amérique latine dans la récession. En France, BNP a fermé 300 de ses 2 250 agences depuis 2012 et Société générale a planifié la diminution de 20 % de son réseau d’ici à 2020.
Sous les propos rassurants des autorités qui se félicitent des progrès de la sécurité financière pointe une réalité toute différente. Le système bancaire européen n’est pas plus sûr qu’en 2008. Les établissements européens souffrent de morcellement et de sous-capitalisation. Ils sont profondément malades car ils ont été placés dans un carcan réglementaire et fiscal qui leur interdit tant de remplir leur fonction de financement de l’économie que de faire des profits pérennes.
Les banques européennes subissent six chocs qui les paralysent. Choc économique avec la crise de 2008 puis celle de la zone euro qui les ont contraintes à réduire leur bilan de manière accélérée au prix d’un très fort ralentissement du crédit. Choc financier des taux zéro qui s’installent dans la durée. Choc fiscal et réglementaire puisque plus de 40 nouvelles législations financières ont été adoptées depuis 2008 et que la Commission multiplie à l’infini les projets de taxes sur les opérations financières ou de séparation des activités de détail et de marché. Dans le même temps, les établissements américains disposent d’un cadre stabilisé depuis 2009 avec le Dodd-Frank Act et les institutions chinoises bénéficient du soutien inconditionnel de la Banque de Chine, adossée à 3 650 milliards de dollars de réserves de change. Choc judiciaire avec le paiement de quelque 110 milliards de dollars d’amendes en cinq ans dont les deux tiers au profit du Trésor des États-Unis, auxquels s’ajouteront au moins 50 milliards de pénalités dans les années à venir contre 15 milliards pour les banques américaines. Choc technologique lié au numérique et à l’irruption du crowdfunding, placé hors de tout contrôle. Choc de concurrence face aux banques géantes américaines, qui bénéficient à plein de leur restructuration et de six années de reprise, comme face au développement d’une offre de crédit dérégulée via les fonds d’investissement et les gestionnaires d’actifs, alimentés par les liquidités déversées par les banques centrales.
Les conséquences du blocage des banques européennes sont dramatiques. Leur profitabilité est nulle et on voit mal comment elles pourraient lever le capital nécessaire à leur développement. L’économie européenne est par ailleurs financée à 75 % par les banques et 25 % par le marché contre 20 % par les banques et 80 % par le marché aux États-Unis. Aussi l’investissement a chuté de 20 % depuis 2008 en Europe quand il rebondissait de 15 % outre-Atlantique. Enfin, les banques européennes ne disposent plus d’aucune marge de manœuvre pour soutenir les marchés en cas de choc sur les dettes publiques et privées, au moment où la volatilité fait un retour en force. La réassurance de l’ensemble des risques financiers se trouve entièrement dans les mains de la BCE, ce qui est très dangereux.
Accélérons l’union bancaire, mais arrêtons les projets de taxes sur les opérations financières ou d’éclatement forcé des banques. Renforçons la stabilité financière non par l’euthanasie des banques mais par leur reconstruction et par la création d’un marché efficace et transparent du capital au service du redéveloppement de l’Europe.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 octobre 2015)