Le duel prend corps entre les deux géants qui décideront du cours du XXIe siècle.
La première visite d’État aux États-Unis de Xi Jinping, le dirigeant chinois qui concentre entre ses mains le plus de pouvoirs depuis Deng Xiaoping, met en scène
le dialogue entre les deux puissances globales qui décideront du cours du XXIe siècle. Mais sous le face-à-face pointe une asymétrie. La Chine ralentit mais poursuit son ascension. Les États-Unis poursuivent leur reprise mais reculent. Xi Jinping est encore à l’aube d’un mandat de dix ans qui entend réformer la Chine et affirmer son hégémonie en Asie. Barack Obama se prépare à seize mois d’impuissance, pris en tenailles, au terme de deux mandats chaotiques, entre la paralysie des institutions et l’exaspération d’une opinion qui bascule dans le populisme que symbolise le succès de Donald Trump.
La Chine, après ses Trente Glorieuses, est entrée dans une ère de turbulences.
Le défi consiste à échapper au piège des pays à revenus intermédiaires en passant d’une croissance quantitative tirée par l’exportation à une croissance qualitative tirée par la demande intérieure, d’une économie administrée à une économie de marché.
Et ce en évitant un atterrissage brutal qui se traduirait par une forte instabilité sociale et politique. Pour cela, Xi Jinping s’est fixé trois priorités. Accélération de la réforme économique avec la mobilisation des 3 560 milliards de dollars de réserves de change
pour purger les bulles immobilières et financières, la restructuration des 200 000 entreprises d’État et l’internationalisation du yuan.
Reprise en main du parti par la lutte contre la corruption et la répression de toute forme d’opposition politique. Domination de l’Asie-Pacifique par le contrôle de la mer de Chine et par les accords commerciaux et financiers structurés autour des nouvelles routes de la soie et du fonds asiatique de financement des infrastructures.
La Chine conteste désormais directement le leadership des États-Unis dans trois domaines décisifs. D’une part, la meilleure efficacité du système de décision – démocratique ou à parti unique – pour gérer le capitalisme mondialisé et les chocs qui lui sont inhérents. D’autre part, la recherche et les technologies avec l’expansion internationale des groupes chinois, non seulement en Asie et en Afrique mais aussi en Occident, qui va de pair avec la systématisation des cyberattaques et de l’espionnage électronique. Enfin, le leadership de l’Asie-Pacifique, centre de gravité de l’économie mondiale, avec la construction depuis le début de l’année de plus de 800 hectares d’îles artificielles et de trois bases militaires majeures en mer de Chine, qui est en passe de devenir, à la grande inquiétude des autres pays asiatiques, une mer chinoise.
Face à l’offensive de Pékin, force est de constater que les États-Unis sont sur la défensive. La reprise est solide, avec une croissance de 2,7 % par an et le retour au plein emploi grâce à un taux de chômage ramené à 5,1 %. Mais la réinvention du modèle économique américain qui s’est effectuée par la base présente deux faiblesses : elle reste ancrée dans l’économie de bulle, comme le montre l’incapacité de la Fed à relever les taux d’intérêt ; elle est très dépendante de la Chine comme base de production et comme marché, ainsi que n’a pas manqué de le rappeler Xi Jinping au gotha de la Silicon Valley. Sur le plan stratégique, le pseudo-pivot vers l’Asie se réduit à un repli désordonné qui, faute de moyens et de déclinaisons opérationnelles, laisse le champ libre à la Chine dans le Pacifique, à la Russie en Europe, à l’État islamique et à l’Iran au Moyen-Orient, tout en déstabilisant les alliances qui stabilisaient l’Europe et le monde arabe. Enfin, le système politique est bloqué par le mode de financement aberrant des campagnes électorales et par la radicalisation de l’opinion.
La puissance stratégique des États-Unis est ainsi neutralisée. Elle se dissout dans le monde multipolaire. Elle ne sait plus ni gagner la guerre, ni maintenir la paix, ni trouver des relais dans des alliances. Le soft power américain s’applique à travers la technologie, le droit et le renseignement. Mais il s’exerce surtout aux dépens des alliés des États-Unis et ne fonctionne pas tant vis-à-vis des nouveaux empires – Chine, Russie, Iran et Turquie – que face à la guerre de religion planétaire lancée par l’État islamique. Il n’est pas jusqu’à la politique monétaire hyper-accommodante de la Fed qui n’avantage la Chine, en favorisant la libéralisation du change et des paiements extérieurs, alors qu’elle contrecarre les stratégies de reflation poursuivies par l’Europe et le Japon. La Chine de Xi Jinping a donc pour l’heure la garantie de l’impunité.
Le duel prend ainsi corps entre les deux géants du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 septembre 2015)