Sur le climat, notre approche demeure anxiogène, étatique et malthusienne. Les réponses doivent être aussi diverses que les risques climatiques.
François Hollande a placé le lancement de la 21e conférence des Nations unies sur les changements climatiques sous le signe de la dramatisation. « C’est tard, c’est peut-être trop tard », a-t-il gravement observé à quatre-vingts jours de l’ouverture d’un sommet qui vise à sauver tout à la fois la planète et son quinquennat. De fait, seuls 70 Etats sur 195 ont pris jusqu’à présent des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, la dotation par les pays développés d’ici à 2020 du fonds de 100 milliards de dollars destiné à soutenir l’adaptation des pays émergents reste introuvable.
La question du climat est cruciale. Nul ne peut aujourd’hui ignorer les conséquences des dérèglements climatiques. Mais l’échec de la COP 21 n’aurait rien de tragique, hormis pour François Hollande, car elle repose sur des principes erronés et des moyens d’action inadaptés.
Les initiatives pour tenter de prévenir ces risques majeurs ont systématiquement échoué. Le protocole de Kyoto, adopté en 1997, s’est désintégré avec le refus des Etats-Unis de le ratifier, puis la sortie de la Russie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et du Canada. Les conférences de Copenhague, en 2009, puis de Cancun et Durban se sont conclues par des impasses. La transition énergétique de l’Europe, qui se voulait exemplaire, a tourné au désastre. Ses résultats ont cumulé l’explosion des prix pour les consommateurs, la dégradation de la compétitivité de l’industrie du continent, la constitution d’une bulle spéculative autour des énergies renouvelables, l’augmentation des émissions avec la sortie de l’Allemagne du nucléaire, l’accroissement de la dépendance énergétique.
La COP 21 n’a tiré aucune leçon ni de ces revers ni, à l’inverse, des percées réalisées par certains Etats et par les technologies. L’impasse des négociations sur le climat découle d’une approche anxiogène, étatique et malthusienne que la Conférence de Paris se propose d’institutionnaliser. Une approche qui repose sur cinq principes. 1/ La lutte contre le changement climatique est avant tout dictée par un devoir de solidarité avec les générations futures. 2/ Les pays développés sont responsables du changement climatique dont les pays émergents sont les victimes. 3/ La solution passe par la décroissance, qui impose que les habitants des pays développés renoncent à leur mode de vie et ceux du Sud au développement intensif. 4/ La lutte contre le changement climatique repose avant tout sur les Etats et non sur les citoyens et les entreprises. 5/ Les instruments à privilégier sont la fiscalité et la réglementation, avec pour clé de voûte le fonds de 100 milliards de dollars acté à Copenhague en 2009 et resté dans les limbes depuis. Or tous ces principes sont faux et la lutte contre le dérèglement climatique ne deviendra effective que si l’on prend leur contrepied. Au lieu d’attiser les peurs en développant des visions d’apocalypse pour le prochain siècle, mieux vaudrait mobiliser autour des difficultés présentes. A savoir la multiplication des événements extrêmes (tsunami, supercyclones et typhons, inondations, sécheresses…) et la pollution des mégalopoles, notamment en Chine et en Inde.
La pression mise sur les seuls pays développés se révèle aussi inefficace que vaine, au moment où les pays émergents assurent 52 % de la production industrielle et où la Chine est devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre.
Quant aux Etats, ils ne disposent plus que de moyens limités du fait de leur surendettement et de leur inadaptation aux nouvelles technologies. Ils sont dépassés par le mouvement des sociétés et des entreprises, de la naissance des villes propres aux plateformes numériques. Le fonds de 100 milliards de dollars, dont nul ne connaît ni la gouvernance, ni les objectifs, ni la raison du montant, est exemplaire de cet étatisme obsolète. L’évolution vers une croissance plus qualitative et respectueuse de l’environnement ne naîtra pas de la multiplication des taxes et des normes, mais de l’innovation. Avec pour priorités la meilleure utilisation de l’eau, l’amélioration des rendements agricoles, les logements et les transports verts, les villes compactes. Est-ce à dire que le rôle des Etats est nul ? Certainement pas. Mais plutôt que l’organisation de grand-messes à l’image de la COP 21, dont le coût est inversement proportionnel aux résultats, il devrait être recentré autour de la gestion des risques et de l’encouragement de l’innovation.
La recherche à tout prix d’un accord universel fondé sur des engagements contraignants est une fausse bonne idée parce que les réponses doivent être aussi diverses que les risques qui, selon les continents ou les nations, portent sur la submersion, les inondations ou les tempêtes, la dégradation des villes ou des sols, l’accès à l’eau, la déforestation. Dès lors, il est préférable de mettre l’accent sur les plans nationaux spécifiques prévus par la conférence de Lima en 2014. Tout comme en matière commerciale, où le blocage des négociations à l’OMC s’accompagne de la multiplication des traités bilatéraux, les grands blocs devraient s’engager dans des accords environnementaux. Cette voie a été ouverte par le traité de Pékin, signé en 2014, qui prévoit la réduction de 26 à 28 % des émissions des Etats-Unis d’ici à 2025 et leur diminution pour la Chine à partir de 2030. Les Etats doivent se réformer pour placer au premier rang de leurs missions l’anticipation et la gestion des crises, dont celles liées au climat. Simultanément, il leur revient de créer les conditions les plus favorables à l’innovation des entreprises et des citoyens en démantelant les dispositifs les plus pervers, comme les subventions aux énergies fossiles ; en détaxant les investissements à bas carbone et les technologies propres ; en soutenant les technologies de rupture ; en laissant d’importantes marges d’expérimentation aux villes qui vont abriter la plus grande partie de la population mondiale.
En l’état, la COP 21 se limite à une opération de communication ruineuse et inutile. Elle se voue à l’échec en appliquant des méthodes du XXe siècle à la question climatique, exemplaire des risques du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Point du 17 septembre 2015)