Croissance mondiale, crise grecque, terrorisme. Ignorant la torpeur de la plage et des périodes estivales, l’histoire est souvent prompte à accélérer.
Alors que les tensions provoquées par le défaut de la Grèce et le krach de la Bourse de Shanghai s’apaisent, chacun veut croire à un été tranquille. Et ce d’autant que, sur le plan géopolitique, le pari de Barack Obama de privilégier le dialogue sur le recours à la force armée semble porter ses fruits avec le rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba, le 1er juillet, et l’accord sur le nucléaire iranien, intervenu à Vienne le 14 juillet.
Pourtant, la prudence s’impose car, ignorant la torpeur de la plage et des périodes estivales, l’Histoire est souvent prompte à accélérer. C’est le 15 août 1971 que Richard Nixon mit fin à la convertibilité du dollar en or, enterrant le système de change fixe mis en place à Bretton Woods en 1944. C’est le 7 août 2007 qu’a débuté la grande crise du capitalisme mondialisé avec l’annonce par BNP Paribas du gel de la valorisation de trois fonds. C’est à l’été 2011 que s’est emballé le choc des risques souverains qui a manqué emporter l’euro avec l’explosion des taux d’intérêt de l’Italie et de l’Espagne. C’est le 2 août 1990 que Saddam Hussein déclencha la première guerre du Golfe en envahissant le Koweït. Aujourd’hui, le sentiment d’euphorie qui s’est emparé des responsables politiques et des marchés financiers paraît très loin d’être fondé.
Sur le plan économique, la croissance mondiale poursuit son ralentissement. Le FMI vient de ramener son estimation à 3,3 % en 2015, dont 2,5 % aux États-Unis – où se profile la remontée des taux d’intérêt –, 1,5 % dans la zone euro – dont la tragédie grecque souligne les problèmes persistants de sous-compétitivité, surendettement, chômage et gouvernance – et 4,2 % pour les pays émergents. A l’exception de l’Inde, dont le rythme de développement pourrait dépasser celui de la Chine, et de l’Afrique, qui prolonge sa dynamique de rattrapage de 5,5 % par an, les grands émergents marquent le pas. Dégonflement des bulles financières et immobilières en Chine, où l’activité est sans doute deux fois moindre que les 7 % affichés, comme le montre la contraction de 6,9 % du commerce extérieur au cours du premier semestre. Croissance molle de 1,8 % en Afrique du Sud, pays vieux dans un continent neuf. Récession durable de 1 % au Brésil et de plus de 4 % en Russie. Sur le plan monétaire, l’accord de refinancement de la Grèce n’a rien réglé. Les partenaires d’Athènes vont réinvestir 86 milliards en plus des 240 milliards déjà apportés, tandis que la BCE augmente son soutien de 90 milliards d’euros aux banques grecques. Pour autant, l’accord est mort-né : Syriza a désintégré le tissu économique et le système financier grecs, la dette, qui va atteindre 200 % du PIB, est plus que jamais insoutenable, et Alexis Tsipras n’entend nullement appliquer les réformes indispensables. Le spectre du Grexit risque de resurgir dès le 20 août, date des prochains remboursements significatifs. Sur le plan financier, les deux premières économies du monde, États-Unis et Chine, sont sous la menace des bulles spéculatives. Le niveau de la croissance et le rétablissement du plein-emploi aux États-Unis imposent une sortie rapide des taux zéro. Au risque de provoquer un krach sur les marchés d’actions – dont la capitalisation atteint 120 % du PIB – et surtout sur les marchés obligataires – dont la capitalisation culmine à 420 % du PIB. En Chine, les autorités poursuivent la reprise en main des marchés boursiers (Shanghai et Shenzhen ont doublé en un an) et immobilier, au prix d’une baisse des cours de 30 et 15 %, mais aussi de la mise en place d’un fonds doté de 3 000 milliards de yuans pour stabiliser les cours. Les ingrédients d’une nouvelle secousse financière sont réunis : excès de création monétaire ; surendettement des États, des entreprises non financières et des ménages ; multiplication des opérations financières avec des levées de fonds s’élevant à 541 milliards de dollars au premier semestre, en hausse de 9 % par rapport à 2014 ; hausse des risques et de la volatilité artificiellement masquée par la liquidité déversée par les banques centrales. Sur le plan politique dominent la polarisation des sociétés et la crise des classes moyennes, déstabilisées par l’endettement, le chômage et les nouvelles technologies, qui alimentent la montée des populismes. Aux États-Unis, le racisme latent se dévoile au grand jour. En Europe, les sentiments xénophobes s’exacerbent, portés par la crise grecque, qui a libéré les pulsions antiallemandes, et par l’arrivée de quelque 500 000 migrants en 2015. Sur le plan stratégique, la remontée en flèche des tensions géopolitiques se poursuit. Le Japon réarme pour faire pièce à la stratégie de la Chine, associant menaces militaires et aide économique, à travers notamment la création du Fonds asiatique d’investissement pour les infrastructures. L’État islamique poursuit sa progression : consolidation du califat dans le quadrilatère compris entre Bagdad, Mossoul, Damas et Alep ; implantation en Libye et en Afrique occidentale à travers Boko Haram ; multiplication des attentats dans le monde développé.
Tout cela ne donne pas la certitude qu’un choc majeur interviendra au cours de l’été 2015. Un programme de modernisation de la Grèce et de restructuration de sa dette peut émerger. L’éclatement des nouvelles bulles spéculatives attendra vraisemblablement la hausse des taux d’intérêt. La Chine n’a aucun intérêt à s’engager dans une confrontation armée alors qu’elle bénéficie de la nouvelle donne mondiale, tandis que la Russie de Vladimir Poutine, confrontée à l’effondrement de son économie et de son système bancaire, adopte une posture plus modérée.
Trois principes doivent guider dirigeants politiques et responsables économiques :
- Notre époque est dominée par la répétition des chocs et des surprises : chacun doit donc anticiper et se préparer à la possibilité du Grexit, d’une crise de liquidité sur les marchés, d’une dislocation des régimes installés à Bagdad ou à Damas, de nouvelles frappes terroristes.
- Il faut agir pour ne pas subir : l’efficacité des autorités de Pékin, qui n’ont pas hésité à casser la spéculation, contraste avec la passivité des États-Unis et la pusillanimité des Européens face à la crise grecque. L’Occident est mal parti si les États-Unis communient dans le « leading from behind »et les Européens dans le « leading from nowhere ».
- Carl von Clausewitz soulignait que « les effets de la surprise ont cela de particulier qu’ils relâchent violemment les liens de l’unité ». Face à la montée des risques, les démocraties et leurs citoyens doivent améliorer leur résilience, leur agilité, leur capacité d’adaptation, mais surtout retrouver le sens de leur unité.
(Chronique parue dans Le Point du 23 juillet 2015)