Malgré la plus importante restructuration de dette de l’histoire du capitalisme la Grèce va droit au défaut et à sa sortie de la zone euro.
Depuis cinq ans, la Grèce se trouve en tête de l’agenda de la zone euro et a monopolisé les débats de douze sommets européens. Elle a bénéficié de la plus importante restructuration de dette de l’histoire du capitalisme et de 240 milliards d’euros d’aides, auxquels s’ajoutent 118 milliards de concours de la BCE. Tout ceci pour rien, puisque la Grèce va droit au défaut et à sa sortie de la zone euro.
La responsabilité première du naufrage est due à Alexis Tsipras et à Syriza. En cinq mois, ils ont non seulement annihilé l’ajustement réalisé depuis 2009, qui avait porté sur 20 % du PIB, mais aussi cassé net la reprise et ruiné la confiance des partenaires européens comme des investisseurs. Le retour programmé à la croissance s’est transformé en une nouvelle récession, alimentée par la faillite en chaîne des entreprises et des ménages. Le système bancaire, qui fait face à des retraits de 1,8 milliard par semaine et à plus de 10 milliards d’impayés depuis janvier, est en faillite et survit sous perfusion des 84 milliards de refinancements d’urgence de la BCE. L’arrêt des rentrées fiscales, l’augmentation des pensions de retraite et les embauches de fonctionnaires ont transformé l’excédent budgétaire primaire en un déficit d’au moins 1,5 % du PIB. Le pillage des caisses publiques reste insuffisant pour permettre le paiement des échéances de 1,6 milliard d’euros dû au FMI le 30 juin et de 3,5 milliards dus à la BCE le 20 juillet.
Les créanciers ont aussi commis des erreurs. La première, économique, résulte du traitement de la crise grecque comme un problème de liquidité alors qu’elle relève d’une absence de solvabilité, liée à une sous-compétitivité structurelle et à l’absence d’un État efficace. La seconde, financière, provient du refus de toute restructuration des créances publiques. La troisième, politique, découle du manque de soutien au gouvernement Samaras qui avait commencé à réformer le pays.
L’Espagne, le Portugal et l’Irlande prouvent que les stratégies d’ajustement sont efficaces. Ce sont les réformes qui permettent de retrouver une certaine flexibilité dans la gestion de la dette. Le refus du gouvernement grec d’augmenter la TVA et de rationaliser un système de retraite qui absorbe 18 % du PIB, contre 13,8 % dans la zone euro et 9 % dans l’OCDE, est injustifiable. Alexis Tsipras est resté un chef de secte et non un premier ministre. Il a choisi l’idéologie contre le réel. Il a engagé un chantage contre ses partenaires qu’il ne peut remporter, car la Grèce a beaucoup plus à perdre que la zone euro. Il entend donner du temps au temps alors que chaque jour achève de détruire les entreprises et les banques grecques. Il s’est donné pour objectif de récupérer l’argent des Européens sans faire de réformes et en restant dans l’euro ; à défaut de réformes, il n’y aura ni argent des Européens ni maintien dans la zone euro.
Trois scénarios sont envisageables. Le premier consiste en un nouvel accord par raccroc, comme en février, d’une durée de 6 à 9 mois. Le défaut sera provisoirement évité, mais rien ne sera réglé ; les mêmes discussions reprendront dès septembre, accaparant l’énergie de la zone euro au détriment de ses autres priorités. Le deuxième prendrait la forme d’une restructuration à la chypriote, avec un défaut larvé, la nationalisation du système bancaire et l’instauration d’un strict contrôle des changes, ce qui revient à aménager un sas par rapport à la zone euro. Son succès, possible, repose sur les réformes qui permettent de restaurer la compétitivité. La troisième issue, la plus probable, est celle d’un défaut débouchant sur la sortie de la Grèce de la zone euro, voire de l’Union européenne si elle devait basculer dans le chaos.
Le prix à payer pour la démagogie de Syriza et de ses dirigeants est exorbitant. La Grèce connaîtra une évolution à l’Argentine, marquée par une nouvelle chute de 10 à 20 % du PIB, une dévaluation de 40 à 60 %, associée à une forte inflation, et le basculement d’une majorité de la population dans la grande pauvreté. Pour l’Europe, s’il n’existe plus de risque systémique, la faillite de la Grèce entraînera un nouveau choc sur les dettes souveraines, notamment pour les pays périphériques. Au plan mondial, le Grexit, en soulignant la remontée des risques financiers et politiques, conforterait la hausse des taux et la volatilité qui minent la reprise. La France de François Hollande, dont la finance était le dernier ami, se trouve particulièrement exposée au défaut grec qui lui coûterait près de 3 % de son PIB comme à la hausse des taux. Un accord entre la Grèce et ses créanciers reste possible et souhaitable. Mais il a pour condition qu’Alexis Tsipras réalise les réformes indispensables pour construire une économie et un État modernes.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 juin 2015)