La lutte contre la corruption devient une priorité mondiale. Le scandale de la Fifa prouve que le temps de l’impunité est terminé.
De Wall Street à Pékin en passant par le Brésil, le Vatican ou la Suisse, la lutte contre la corruption prend une nouvelle dimension pour devenir une priorité mondiale. Sous la pression des opinions, les pouvoirs publics, longtemps complaisants, se mobilisent et la justice, longtemps impuissante, passe à l’action. Après les 240 milliards de dollars d’amendes infligés aux banques, après l’abolition du secret bancaire et l’échange des données fiscales, après la purge de la Banque du Vatican entreprise par le pape François, après la déconfiture de Petrobras, le scandale de la Fifa prouve que le temps de l’impunité est terminé.
Le football comporte une valeur symbolique qui s’étend très au-delà du sport. Depuis des décennies, il a été géré comme une organisation mafieuse. Portées par la mondialisation et par sa professionnalisation, ses recettes ont été démultipliées pour atteindre 5,7 milliards de dollars pour les années 2001 à 2014. Sous couvert d’exception sportive et d’universalisme se sont installés un pouvoir personnel placé hors de tout contrôle, des conflits d’intérêts permanents, une opacité complète des décisions et de la gestion. Avec deux conséquences. D’abord la gangrène de la corruption, qui s’est traduite par des pots-de-vin supérieurs à 150 millions de dollars pour la désignation des pays hôtes de la Coupe du monde, notamment la Russie en 2018 et le Qatar en 2022. Ensuite, contrairement au rugby qui n’a cessé de se réformer, une inaction constante face aux fléaux qui minent le football : insécurité des stades et culte de la violence, racisme, dérive des transferts et surendettement des clubs, généralisation de la fraude fiscale, failles criantes de l’arbitrage institutionnalisées par le refus de toute assistance technologique.
Comme tout parrain, Sepp Blatter vivait dans la certitude de son impunité. C’est vrai en Suisse, mais pas aux États-Unis. Voilà pourquoi il a été contraint à la démission quatre jours après avoir été réélu, à l’âge de 79 ans, pour un cinquième mandat de quatre ans par 133 voix sur 209 – dont celle du président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, dont la plus élémentaire logique voudrait qu’il démissionnât à son tour. Et ce en raison des investigations conduites par le département de la Justice des États-Unis depuis New York.
La corruption est un cancer qui ronge la démocratie et le développement. Le décollage de l’Afrique va de pair avec les progrès de l’État de droit. En Russie et au Brésil, en Turquie et en Afrique du Sud, le blocage de la croissance accompagne l’installation du pouvoir personnel, la faillite de la justice et l’explosion de la corruption. Nul hasard si la protestation contre une prévarication endémique fut l’un des premiers moteurs des révolutions du monde arabo-musulman.
Longtemps, la corruption a pourtant fait l’objet d’une lâche tolérance. Le revirement auquel nous assistons obéit à des causes profondes. La mondialisation se structure autour de métropoles qui rivalisent pour incarner la modernité et afficher ses icônes : Jeux olympiques, Coupe du monde, Grand Prix de F1, Exposition universelle, foires d’art moderne… Mais les classes moyennes urbaines et éduquées ne supportent plus la corruption, tandis que les nouvelles technologies s’affirment comme de puissants instruments de transparence. L’information est plus que jamais le meilleur antidote contre l’arbitraire et les malversations. Par ailleurs, la fraude devient de plus en plus insupportable sur fond de séquelles de la crise : chômage de masse, paupérisation, surendettement des ménages et des États.
Le premier instrument de la lutte contre la corruption est la justice des États-Unis, en première ligne face à la Fifa comme face aux banques, à Petrobras, ou déjà au CIO, après le scandale des Jeux d’hiver de Salt Lake City. Pour le meilleur et pour le pire, elle a conquis une dimension universelle. En dépit de sa complexité et de ses coûts, qui la rendent très inégalitaire, elle conserve trois qualités uniques : son indépendance, son professionnalisme et sa redoutable efficacité. Avec tous ses défauts, elle agit quand les autres s’abstiennent, comme il a été montré par des dossiers aussi divers que la Fifa, Youkos, Petrobras, les manipulations des taux d’intérêt sur la place de Londres ou les débordements de Dominique Strauss-Kahn. Rien n’est plus instructif à ce propos que de voir le Parlement suisse vider de tout contenu le projet de loi anticorruption du Conseil fédéral au lendemain de la démission de Blatter.
L’universalisation du marché doit avoir pour contrepartie le renforcement de l’État de droit. La corruption n’est nullement un monopole du marché, mais bien plus souvent le fait des États : voilà pourquoi la liberté repose sur l’exercice de la souveraineté et l’effectivité du vote, mais aussi sur le respect et l’efficacité de l’État de droit.
Chronique parue dans Le Figaro du 08 juin 2015)
> Lefigaro.fr