Un an après le début des frappes de la coalition, l’État islamique n’a pas été contenu. Pis, sa menace se répand au Moyen-Orient.
Au moment où Barack Obama affirme que « l’État islamique est sur la défensive et va perdre », force est de constater que rien ne justifie son optimisme qui relève plus du déni que de l’analyse stratégique. Un an après le début des frappes de la coalition, non seulement l’État islamique n’a pas été contenu, mais la menace qu’il représente se renforce autour de trois cercles : la création d’un califat au cœur du Moyen-Orient ; la multiplication des relais au sein du monde musulman ; la déstabilisation des démocraties à travers le recrutement de djihadistes et la multiplication des attentats.
L’État islamique contrôle le tiers de l’Irak et désormais la moitié de la Syrie. Il domine en totalité un vaste quadrilatère qui s’étend entre Damas, Bagdad, Mossoul et Alep. À l’intérieur de ces nouvelles frontières qui font éclater la carte du Moyen-Orient issue des accords Sykes-Picot de 1916, il exerce toutes les fonctions d’un État souverain : défense, police, justice, émission de la monnaie, régulation économique, éducation et santé. Parallèlement, l’État islamique attise la guerre entre sunnites et chiites, soumet à une pression croissante les monarchies du Golfe et multiplie les points d’appui, du Liban au Nigeria où Boko Aram lui a prêté allégeance en passant par la Libye et le Sahel. Enfin, la mondialisation du djihad se poursuit, avec pour instrument la terreur de masse, servie par la cyberpropagande et les attentats.
L’État islamique a été analysé à partir des catégories traditionnelles du terrorisme et du totalitarisme. Or sa nature est hybride, qui croise le salafisme et les structures de commandement centralisées du parti Baas, le fanatisme religieux et les attributs des États totalitaires (foi et terreur, appareil répressif hypertrophié, contrôle de l’économie, de la société et des médias, l’idéologie du djihad et la cyberguerre. Par ailleurs, la menace est à la fois extérieure et intérieure.
La stratégie de la coalition, fondée sur les seules frappes aériennes, est vouée à l’échec. Après le repli tactique au Kurdistan, en raison de la mobilisation des peshmergas, l’État islamique a organisé avec succès son recentrage sur les zones sunnites. Les limites de la coalition sont alors devenues évidentes. Les frappes aériennes sont limitées en nombre (15 raids par jour contre 800 en 2003 lors de la guerre d’Irak), comme en efficacité, du fait de l’insuffisance du renseignement et de la crainte des dommages collatéraux. L’absence de troupes au sol, en raison du refus de Barack Obama de revenir sur la décision de retrait de 2001, interdit de tenir le territoire.
Mais ce qui manque le plus, ce sont la volonté et la cohérence politiques. L’État islamique bénéficie d’une configuration exceptionnellement favorable qui entretient le chaos dont il est le fruit. L’onde de choc et de désintégration des États provoquée par l’intervention américaine en Irak de 2003 puis par les révolutions du monde arabo-musulman se poursuit. Les intérêts et les priorités des États-Unis et de la Russie, mais surtout de la Turquie, de l’Arabie saoudite et de l’Iran divergent, sur fond de création d’un vaste Chiistan par Téhéran.
Le constat est clair à défaut d’être rassurant : l’État islamique n’est plus un projet, mais une réalité politique et stratégique. L’intervention américaine de 2003 a ouvert une guerre de trente ans dont la première décennie, marquée par les conflits d’Afghanistan, d’Irak, de Libye et de Syrie, a tourné à l’avantage de l’islamisme radical.
Trois options sont dès lors ouvertes. La première est le statu quo, qui conduit mécaniquement à la défaite, avec l’effondrement programmé du régime de Bagdad et le rétrécissement de celui de Damas à une peau de chagrin. La deuxième privilégie le repli de l’Occident et le cantonnement de la violence au Moyen-Orient pour laisser se déployer la guerre à mort entre sunnites et chiites : ce lâche renoncement, véritable Munich du XXIe siècle, mène au désastre face à une menace mondiale qui a déjà gagné le cœur des nations libres. La troisième repose sur le postulat que les démocraties n’ont d’autre choix que de livrer et de gagner la guerre qu’elles ne souhaitent pas, mais que leur impose l’islamisme. Mais, pour la gagner, il faut admettre son caractère total et repenser notre stratégie : obtenir un mandat clair de l’ONU ; réaligner les intérêts des grandes puissances ; donner la priorité à la consolidation des États, y compris en Syrie ; garantir la sécurité des minorités et des tribus sunnites ; casser l’infrastructure étatique et économique et pas seulement militaire de l’État islamique ; assumer le risque du déploiement de troupes au sol ; mobiliser les sociétés libres au service de l’intégration des musulmans et de la lutte contre le terrorisme. « Rester inerte, c’est être battu », rappelait le général de Gaulle.
Chronique parue dans Le Figaro du 02 juin 2015)