La Grèce est retombée dans la récession. Le populisme d’Alexis Tsipras conduit son pays à la faillite financière et met en péril la liberté.
Thucydide, dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, montre comment la démagogie qui s’installa à Athènes après Périclès conduisit au désastre de l’expédition de Sicile, puis entraîna la fin de la démocratie, minée par le déchaînement des passions collectives et des dissensions internes. Vingt-quatre siècles plus tard, le populisme échevelé d’Alexis Tsipras, lointain héritier de l’irresponsable Alcibiade, est en passe de conduire de même la Grèce à la faillite financière et de mettre en péril la liberté.
Au moment où l’Europe se redresse, la Grèce est prise au piège diabolique dans lequel l’a emprisonnée Syriza, elle court au défaut de paiement, qui implique sa sortie de l’euro et un nouvel effondrement de sa richesse nationale, déjà amputée d’un quart depuis 2007. Si elle ne constitue plus un risque financier pour la zone euro, elle représente une menace géopolitique pour l’Europe avec sa dérive prévisible vers la condition d’Etat en déliquescence et d’espace chaotique au coeur des Balkans et à proximité immédiate du Moyen-Orient.
Alors que la reprise s’affirme dans la zone euro et dans l’Europe du Sud, la Grèce, qui devait revenir à la croissance en 2015, est brutalement retombée dans la récession du fait de sa politique en cours. Le secteur du tourisme est bloqué par les craintes de faillites et de violences. La multiplication des mesures et des déclarations hostiles au marché va provoquer la disparition de 8 500 entreprises dans les six mois. Les transactions sont stoppées par l’instabilité fiscale et l’arrêt du crédit. Le chômage remonte. L’exil des talents et des capitaux s’emballe. Face à la fonte de leurs dépôts, les banques ne survivent que grâce aux 110 milliards d’euros de liquidités avancés par la BCE. La rechute de l’activité et la promesse de Tsipras de mettre fin aux taxes et aux saisies immobilières ont drastiquement diminué les recettes fiscales. Tandis que les dirigeants de Syriza débattent de l’utilisation de l’excédent budgétaire primaire, le déficit est réapparu, provoquant le retournement à la hausse de la dette publique, qui atteint 180 % du PIB. La Grèce est à nouveau coupée des financements de marché qui s’étaient rouverts en 2014, avec des taux d’intérêt qui culminent à près de 30 % pour les emprunts à trois ans.
Le gouvernement grec n’a ainsi honoré ses échéances de mai qu’en confisquant la trésorerie de tous les organismes publics, y compris les fonds de retraite, et en remboursant les 750 millions dus au FMI avec ses propres cotisations auprès de l’institution – fait sans précédent. Cette cavalerie, qui fait de Yanis Varoufakis le fils spirituel de Bernard Madoff, est cependant parvenue à son terme : toutes les caisses ont été vidées alors que les échéances de la Grèce d’ici à la fin juin s’élèvent à 10,1 milliards d’euros.
En dépit de l’accord de principe intervenu en février, les négociations de la Grèce avec ses créanciers sont au point mort. Et ce du seul fait du gouvernement de Tsipras, dont la stratégie se résume à tenter de gagner le temps dont il ne dispose plus, en multipliant diversions et provocations. Non content de ne produire aucun programme de réformes crédible, il ne communique plus d’information sur ses comptes et engage de nouvelles dépenses incompatibles avec le programme d’ajustement et non financées : hausse de 25 % du salaire minimum, embauche de 12 000 fonctionnaires, réouverture de la télévision publique, symbole de gabegie et de clientélisme. Exemplaire est la situation des retraites, que Tsipras persiste à vouloir augmenter alors que le régime est insoutenable : elles représentent 9 % du PIB, soit un montant moyen de 1 152 euros contre 1 287 euros en Allemagne pour un salaire moyen de 1 400 euros en Grèce contre 2 900 euros en Allemagne. Enfin, le vrai faux départ de Varoufakis, qui a fait l’unanimité contre lui, a exacerbé l’exaspération envers Athènes, désormais totalement isolée en Europe et dans le monde développé.
La partie de poker menteur menée par la Grèce face à ses partenaires est proche du dénouement. Pour forcer la renégociation de sa dette, Athènes s’est engagé dans une stratégie de dissuasion du faible au fort, fondée sur la double menace des dommages collatéraux de la sortie de l’euro et de la conclusion d’une alliance de revers avec la Nouvelle Russie de Vladimir Poutine, qui prendrait ainsi position au cœur de l’Union européenne et de l’Otan. Mais ce chantage est voué à l’échec, car la Grèce a autrement besoin de ses partenaires que ses partenaires n’ont besoin de la Grèce. L’idée de trouver une solution à la dette du XXe siècle en révisant le règlement diplomatique et financier de la Seconde Guerre mondiale a fait long feu. Enfin, Poutine n’a pas les moyens de se substituer à l’Europe en raison de l’effondrement de l’économie russe, de la montée du mécontentement social et des coûts croissants de l’intervention militaire en Ukraine. C’est donc à Tsipras et aux citoyens grecs qu’il revient de trancher le nœud gordien, qui n’a pas varié depuis janvier : la Grèce doit choisir entre son maintien dans l’euro et l’application du programme de Syriza.
Six enseignements émergent de la tragédie grecque :
- Les nations libres et leurs citoyens paient toujours au prix fort la conquête du pouvoir par les démagogues, qui demeurent au XXIe siècle l’ennemi le plus dangereux pour la démocratie.
- La faillite financière de la Grèce masque ses deux problèmes fondamentaux qui résident dans son déficit de compétitivité et dans son échec à construire un État légitime et efficace.
- C’est la classe politique grecque, y compris Syriza, qui porte l’entière responsabilité du désastre, et non pas l’Europe, qui s’est surexposée pour sauver la Grèce en soutenant son État à hauteur de 250 milliards d’euros et ses banques à hauteur de 110 milliards d’euros.
- Le maintien de la Grèce dans l’Union et la zone euro reste possible, tant les incertitudes liées à une sortie de la monnaie unique restent fortes et les risques géopolitique élevés, mais il a pour condition l’acceptation définitive par Athènes des réformes indispensables pour construire une économie performante et un Etat moderne.
- Le meilleur antidote aux tentations populistes est à chercher dans les résultats désastreux des politiques dites alternatives telles que celle menée par Syriza en Grèce.
- Pour autant, face au péril populiste qui s’est illustré à nouveau avec la percée de Podemos lors des élections locales en Espagne, l’UE et la zone euro doivent plus que jamais se mobiliser pour soutenir la reprise, donner la priorité à la croissance et à l’emploi, renforcer la légitimité et l’efficacité de leurs institutions
(Chronique parue dans Le Point du 28 mai 2015)