La croissance économique semble repartir, tirée par la consommation. Mais la France n’a manifestement tiré aucun enseignement de la crise.
Après sept années placées sous le signe de la croissance zéro, du chômage de masse et de l’explosion de la dette publique, Dieu semble être soudainement redevenu français. Au premier trimestre 2015, la croissance a atteint 0,6 %, soit une performance deux fois supérieure à celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni (0,3 %), meilleure que celle de la zone euro et de l’Union européenne (0,4 %), très au-delà de celle des États-Unis où l’activité a stagné.
Cette éclaircie inespérée ranime l’espoir d’une sortie de crise de l’économie française. Pourtant, celui-ci-reste illusoire. Sous le regain de l’activité, tout entier porté par l’amélioration de l’environnement extérieur, pointe la persistance des déséquilibres structurels qui minent le modèle économique et social français.
Le sursaut de la croissance française est tiré par la seule consommation qui progresse de 1,4 %, grâce au pouvoir d’achat rendu aux ménages par la baisse des prix du pétrole et le ralentissement des hausses d’impôts. En revanche, l’investissement affiche une nouvelle chute de 0,2 %, en raison du niveau historiquement bas du taux de marge des entreprises. Avec pour conséquence une obsolescence accélérée de l’appareil de production. Confirmation en est donnée par le recul des exportations de 0,9 % qui contraste avec la hausse de 2,3 % des importations, témoignant du déficit de compétitivité de nos entreprises.
Tout aussi inquiétante est la situation du marché du travail. Non seulement la reprise ne crée pas d’emplois mais 13 500 postes de travail supplémentaires ont été détruits depuis le début de l’année. D’où la poursuite de la hausse du chômage, qui touche 5,3 millions de personnes. Et ce alors que les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont rétabli le plein emploi avec des taux de chômage respectivement ramenés à 5,4 %, 4,7 % et 5,6 %.
Enfin, la bulle spéculative des finances publiques ne cesse d’enfler. Les dépenses publiques, qui culminent à 57,5 % du PIB, sont de très loin les plus élevées du monde développé. L’effectif des fonctionnaires augmente de 100 000 postes par an depuis 2012. Les recettes publiques qui atteignent 54,4 % du PIB entravent la croissance, l’investissement et l’emploi. Et ce d’autant que les trois quarts des 30 milliards de prélèvements supplémentaires levés sur les ménages ont été concentrés sur les classes moyennes supérieures, à l’image de la hausse de 30 % de l’impôt sur le revenu qui n’est plus acquitté que par 47,5 % des foyers fiscaux. Dans le même temps, les déficits perdurent, alimentant la dette publique qui dépassera 100 % du PIB en 2016.
Le modèle français est plus que jamais insoutenable. Le seul moteur de l’activité provient de la consommation financée par des transferts sociaux (33 % du PIB), eux-mêmes alimentés par la dette publique qui s’élève à plus de 2 050 milliards d’euros. Simultanément, la dépense publique réalise l’euthanasie de la production et de l’innovation, de l’épargne et de l’investissement.
Contrairement aux autres pays développés, la France n’a tiré aucun enseignement de la crise. Elle n’a engagé aucune des réformes décisives pour restaurer la compétitivité des entreprises dont le taux de marge continue à se dégrader, donner plus de flexibilité au marché du travail, dynamiser le crédit bancaire et les marchés, renforcer la concurrence, réduire les dépenses publiques tout en sanctuarisant l’investissement, mieux former sa jeunesse.
Tout comme à la fin des décennies 1980 et 1990, la France est en passe de perdre une nouvelle occasion de se moderniser. Elle utilise les dividendes de la croissance retrouvée pour différer les réformes qu’elle n’a pas voulu réaliser au cœur de la tourmente financière. La France ne réforme pas en temps de crise parce que c’est jugé trop difficile et ne réforme pas en période de reprise parce que c’est jugé inutile.
Le déni des problèmes d’offre et de l’urgence des réformes est suicidaire. Le redémarrage de l’activité ne s’explique que par la configuration exceptionnellement favorable née de la baisse du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt. Or celle-ci ne durera pas. Les prix des hydrocarbures se sont stabilisés. La remontée du dollar a été stoppée net du fait de son impact négatif sur les exportations américaines. Une volatilité croissante affecte les taux d’intérêt qui se tendent et ne vont pas manquer d’augmenter avec le relèvement inéluctable des taux de la Fed. Or un point de hausse des taux d’intérêt entraîne une augmentation de 40 milliards de la charge de la dette sur cinq ans. La France n’est plus en croissance zéro mais n’est pas engagée dans une reprise durable. Le rebond de l’activité ne remet en question ni son déclin, enraciné dans la désintégration de son appareil de production, ni sa nature de bombe à retardement au cœur de la zone euro. Seules des réformes radicales pourraient fonder une véritable reprise, rétablir la souveraineté économique de notre pays et garantir la pérennité de l’euro.
Chronique parue dans Le Figaro du 28 mai 2015)