Un référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne aura bien lieu. Avec un invité surprise : l’Écosse…
Au Royaume-Uni, les législatives se sont achevées par un triomphe des conservateurs. Leur leader, David Cameron, est aujourd’hui le seul survivant d’un scrutin qui se conclut par les démissions d’Ed Miliband, de Nick Clegg et de Nigel Farage respectivement de la direction du Labour, des LibDem et de l’Ukip. La seule ombre provient d’Écosse, où les nationalistes ont été plébiscités. Du verdict aussi inattendu que sans appel des urnes britanniques émergent quatre leçons et deux interrogations :
- Première leçon, les sondages ne sont plus fiables. Les citoyens des démocraties sont de plus en plus volatils et habiles dans l’art de masquer leurs choix.
- Deuxième leçon, la croissance et le plein-emploi restent aux yeux des électeurs les juges de paix des dirigeants. Si le bilan politique de David Cameron reste controversé, sa réussite économique est incontestable : une croissance de 2,6 à 2,8 % ; un taux de chômage ramené à 5,6 % grâce à la création de 1,8 million d’emplois en cinq ans ; un déficit public réduit de 10,9 à 5,5 % du PIB depuis 2010. Les Britanniques ont préféré les certitudes de la reprise pilotée par Cameron à l’improbable « croissance partagée par tous » promise par Miliband.
- Troisième leçon, les réformes et l’austérité paient. Sur le plan économique, le Royaume-Uni confirme que les politiques d’ajustement par la baisse des dépenses publiques et des effectifs de fonctionnaires sont moins coûteuses pour la croissance et l’emploi que celles fondées sur les hausses d’impôts. Sur le plan politique également, les thérapies de choc sont les seules à générer rapidement des résultats positifs qui permettent d’obtenir l’adhésion de la population.
- Quatrième leçon, le crédit des démagogues tend à s’éroder grâce à la reprise européenne et au bilan catastrophique de leur gestion. Le Labour a payé cher les échecs retentissants de François Hollande en France et de Syriza en Grèce. Ainsi, en s’éloignant du New Labour de Tony Blair pour communier dans la rhétorique hostile aux riches et à la finance et prôner des hausses d’impôts massives, Ed Miliband a laissé craindre l’alignement sur le modèle français.
Toutefois, la netteté de la victoire de David Cameron va de pair avec deux interrogations majeures :
- Première interrogation, la cohésion du Royaume-Uni. David Cameron va devoir engager la fédéralisation du Royaume-Uni pour respecter les promesses faites aux Ecossais et aux Gallois mais aussi aux Anglais d’être gouvernés par des lois propres. Par ailleurs, la victoire totale du SNP en Ecosse rend probable un nouveau référendum sur l’indépendance. Avec pour déclencheur soit l’insuffisance de la dévolution des pouvoirs, soit la sortie du Royaume-Uni de l’Union qui, selon les nationalistes, ne saurait engager l’Ecosse.
- Seconde interrogation, le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. La victoire de David Cameron a levé tout doute sur l’organisation d’un référendum avant 2017. Dès lors, le scénario du Brexit n’a jamais été aussi proche. Et ce même s’il constitue un choix perdant-perdant. Choix perdant pour le Royaume-Uni, qui s’est positionné dans la mondialisation comme la porte d’entrée vers l’Europe et le grand marché qui absorbe 50 % de ses exportations. Choix perdant pour l’Europe, qui se verrait amputée de la 5e économie mondiale, d’un membre permanent du Conseil de sécurité et de la seule armée opérationnelle avec celle de la France. Choix perdant pour l’Union, qui se trouverait entièrement dominée par l’Allemagne.
La solution du dilemme se trouve dans le lien direct qui unit sécession de l’Écosse hors du Royaume-Uni et sécession du Royaume-Uni hors de l’Europe. Le Brexit est indissociable d’un éclatement à terme du Royaume-Uni. À l’inverse, la survie du Royaume-Uni passe par le désarmement de la fronde écossaise, dont la clé est l’appartenance à l’Union.
Voilà pourquoi il faut explorer les termes d’un accord entre Bruxelles et Londres. A priori il paraît improbable. Le mandat reçu des électeurs britanniques va en effet dans le sens d’une renégociation des traités européens que ni la Commission ni les autres Etats n’envisagent.
Pourtant, une issue est possible à deux conditions. David Cameron doit rompre avec les pétitions de principe sur la renégociation pour préciser ses demandes qui, sur le contrôle de l’immigration et des dépenses de l’Etat-providence, peuvent se révéler compatibles avec l’intérêt européen. L’Europe doit débattre des positions britanniques qui rejoignent les vœux de ses citoyens, dans le domaine de la protection du territoire et de la population notamment. Elle doit dans le même temps se montrer intraitable sur les conséquences économiques et financières d’un Brexit, dont il doit être clair pour tous qu’il coupera Londres du grand marché et de la zone euro.
Le triomphe électoral des conservateurs est adossé à une double poussée nationaliste des Anglais contre l’Europe et des Ecossais contre les Anglais. Le piège diabolique des référendums ne peut être désamorcé que par le haut. Le Brexit est indissociable d’un débat à haut risque sur l’indépendance de l’Écosse. C’est paradoxalement un accord sur une relance de l’Union européenne qui garantit la pérennité du Royaume-Uni.
(Chronique parue dans Le Point du 14 mai 2015)