Au XXIe siècle, l’Empire du Milieu continue sa transition au 6 facettes, et fait le pari d’un système géopolitique stabilisé.
La Chine connaît un spectaculaire ralentissement. La croissance est officiellement revenue de 10,5 % à 7 % par an. En réalité, le freinage de la production industrielle qui plafonne autour de 5%, la quasi-stagnation de la consommation d’énergie et le recul de la demande de crédit laissent penser que la croissance réelle se situe entre 3,5 et 4%. D’où les nouvelles aides fiscales à l’emploi, dont l’objectif est de soutenir la création de 10 millions de postes de travail en 2015, après 13,2 millions en 2014.
La Chine, devenue la première économie du monde en parité de pouvoir d’achat, achève le cycle de ses Trente Glorieuses et s’engage dans une ère de transition. Elle quitte le monde émergent pour rejoindre les économies matures dont la population vieillit rapidement. Cette mutation à haut risque est pilotée d’une main de fer par Xi Jinping, qui a engagé une spectaculaire accélération des réformes.
Sur le plan financier, la Chine tente de réaliser ce que les États-Unis ont échoué à accomplir au cours de la décennie 2000 en désarmant les bulles spéculatives avant qu’elles n’explosent. L’endettement global de la Chine a progressé de 130 % à 220 % du PIB depuis 2007. Des bulles se sont formées dans l’investissement manufacturier, la finance, l’immobilier et la construction. Parallèlement s’est constitué un secteur bancaire clandestin adossé à 2000 milliards de dollars de dettes. D’où l’encadrement de l’endettement des collectivités locales, le resserrement du contrôle sur la Bourse de Shanghaï, la surveillance renforcée du secteur bancaire. D’où la baisse de 10% des prix de l’immobilier dans les métropoles. D’où la réassurance par les 4000 milliards de dollars de réserves de change.
Sur le plan économique, la nouveauté provient de la baisse de la marge nette des entreprises, passée de 9 % à 4 % en dix ans du fait de la hausse des coûts, notamment salariaux. Les difficultés sont concentrées dans les 125.000 entreprises publiques, qui emploient 37 millions de personnes. Leur restructuration a débuté, avec un vaste mouvement de concentration, autour d’une quarantaine de holdings, contre 112 aujourd’hui.
Sur le plan de l’environnement, la lutte contre la pollution a été érigée en priorité afin d’endiguer la dégradation des villes, de l’eau, des sols et de l’air. Et ce grâce à un gigantesque programme d’investissement qui devrait mobiliser 350 milliards de dollars par an pendant une décennie.
Sur le plan de l’État de droit, Pékin prend tardivement en compte les avertissements lancés par Lee Kuan Yew, le père de la nation singapourienne, qui plaçait la corruption au premier rang des menaces pour la stabilité politique, économique et sociale. Après les hauts dirigeants du parti communiste, tels Zhou Yongkang , le tout-puissant responsable de la sécurité, ce sont les dirigeants des groupes publics qui sont au cœ ; ur des investigations, à l’image de Cui Jian, vice-président du sidérurgiste Baosteel, Xu Jianyi, ancien président du constructeur automobile FAW, ou Wang Tianpu, directeur général du pétrolier Sinopec.
Sur le plan politique, les réformes économiques ont pour contrepartie un durcissement idéologique, une répression accrue des militants défendant les libertés ou les droits civiques, un contrôle renforcé d’Internet et des universités.
Sur le plan stratégique, la Chine est définitivement sortie de l’ère de « l’émergence pacifique » et poursuit nouvelles routes de la soie terrestres – avec un premier programme de 46 milliards de dollars d’infrastructures au Pakistan – et maritimes vers l’Asean. La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, qui a vu Pékin réussir à marginaliser les États-Unis.
La « nouvelle norme » voulue par Xi Jinping se met en place. Depuis son décollage, la Chine a résisté à la crise asiatique de 1997, au trou d’air de 2001, au krach de 2008 puis au choc sur l’euro en 2001. Le défi qu’elle affronte provient cette fois-ci de l’intérieur. Il consiste à convertir une croissance quantitative en une croissance qualitative, qui utilise de manière plus efficace les ressources rares que sont le travail, le capital et l’environnement. Elle a pour atout son étonnante agilité dans la conduite des réformes pour un pays de 1,3 milliard d’hommes. Elle a pour moteur sa volonté de leadership. Contrairement à l’Allemagne du début du XXe siècle, la Chine du XXIe siècle a compris que l’empire émergent n’avait pas intérêt à la guerre, mais à la stabilité du système géopolitique dont il dicte chaque jour davantage les principes et les règles.
Chronique parue dans Le Figaro du 04 mai 2015)