Les défis qui attendent le président Muhammadu Buhari sont immenses, pour ce pays qui est le laboratoire des « Trente Glorieuses » de l’Afrique.
Le Nigeria symbolise les espoirs de l’Afrique, dont le décollage se confirme avec une croissance de 5,6 % prévue pour cette année. En 2014, il a pris le leadership économique du continent en devançant l’Afrique du Sud, avec un PIB de 510 milliards d’euros contre 354 milliards. En 2015, il est en passe de connaître sa première alternance démocratique depuis son indépendance en 1960, après six coups d’État puis seize ans de domination sans partage du Parti démocratique populaire à partir de la fin des dictatures militaires.
La victoire du général Muhammad Buhari sur le président sortant, Goodluck Jonathan, est historique. L’élection du 28 mars, qui appelait aux urnes 68 millions d’électeurs sur 174 millions d’habitants, s’est déroulée de manière transparente, grâce au recours généralisé au vote biométrique, et dans le calme, en dépit des menaces de Boko Haram et contrairement au scrutin précédent dont la proclamation des résultats avait été endeuillée de quelque 800 morts. Le résultat est sans appel : Buhari a gagné par 53,95 % des voix contre 44,96 % à son adversaire, qu’il devance dans 21 États sur 36. Goodluck Jonathan a reconnu sa défaite et félicité le nouvel élu.
Quatre raisons expliquent l’élection de Buhari :
- L’opposition nigériane qui compte quatre partis principaux a réussi pour la première fois à se coaliser pour former l’APC et se présenter unie derrière son candidat, désigné à la suite de primaires.
- Sur le plan économique et social, les inégalités du développement (la moitié des Nigérians dispose de moins de un dollar par jour et le taux de chômage atteint 23,9 % de la population active) ont été exacerbées par le contre-choc pétrolier : la croissance économique est revenue de 6,5 à 4,8 % ; les finances publiques et les comptes extérieurs ont été brutalement déstabilisés par la crise des hydrocarbures qui n’entrent que pour 15 % dans le PIB mais qui génèrent 90 % des recettes en devises et 70 % des recettes budgétaires.
- Sur le plan des mœurs publiques, la corruption s’est envolée avec le détournement de 10 % de la production pétrolière et le limogeage du gouverneur de la banque centrale après qu’il a dénoncé la disparition de 20 milliards des comptes de l’État.
- Sur le plan de la sécurité et de la souveraineté, Goodluck Jonathan a fait preuve d’une passivité et d’une complaisance stupéfiantes face à la terreur de masse répandue par Boko Haram, responsable de 13 000 morts et de plus d’un million et demi de réfugiés. L’offensive de dernière minute lancée après le report de l’élection présidentielle a achevé d’exaspérer la population. Elle a souligné la tragique inaction du pouvoir et l’inefficacité de l’armée puisque l’intervention décisive de 200 mercenaires sud-africains a obtenu plus de résultats que des années d’opérations militaires.
Les défis que devra relever Buhari sont immenses. Le premier concerne la sortie de la crise économique. La réduction de la dépendance au secteur pétrolier et l’accélération de la diversification de l’activité doivent aller de pair avec une meilleure redistribution des immenses richesses d’un pays qui comptera 400 millions d’habitants en 2050. La clé du développement réside dans l’amélioration des infrastructures qu’il s’agisse d’eau, d’énergie (les coupures d’électricité quotidiennes minent l’essor des entreprises et la vie quotidienne des ménages) ou de transport : le Nigeria ne dispose que de 29 900 km de routes asphaltées contre 644 000 pour l’Allemagne. La croissance des villes qui concentrent les nouvelles classes moyennes et qui vont devoir accompagner le doublement de la population constitue un enjeu majeur. D’où la nécessité d’un effort d’investissement qui passe par la sécurisation de l’environnement juridique, financier et fiscal des affaires.
C’est avant tout sur le terrain de la lutte contre la corruption et de la guerre contre Boko Haram que se jouera ce mandat. La poursuite du décollage du Nigeria a pour condition le rétablissement du fonctionnement de l’État, de la sécurité et de la paix civile. La réputation d’intégrité dont jouit le nouveau président est un capital politique précieux qu’il devra préserver. La priorité qu’il a donnée à l’éradication de Boko Haram suppose la remobilisation de l’armée nigériane et l’engagement d’une coopération effective avec les États de la région (Tchad, Niger et Cameroun) comme avec les États-Unis pour la collecte et l’exploitation du renseignement. Le Nigeria est le laboratoire des « Trente Glorieuses » de l’Afrique. Buhari, ex-putschiste qui exerça le pouvoir de 1983 à 1985 avant d’être renversé devra démontrer que sa conversion en héraut de la démocratie n’est pas factice. Le musulman du Nord devra prendre en considération les minorités chrétiennes du Sud et obtenir leur soutien. L’homme de la discipline devra restaurer l’efficacité de l’État sans céder à l’autoritarisme.
Chronique parue dans Le Figaro du 6 avril 2015)