Avec 25 % de la population active au chômage et un taux de croissance qui stagne, l’Afrique du Sud régresse et souffre de la corruption et de la criminalité.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, l’Afrique du Sud a fait figure d’îlot de prospérité au sein d’une Afrique mal partie. Alors même que la sortie pacifique de l’apartheid lancée par Frederik De Klerk et réalisée par Nelson Mandela semblait la promettre à un avenir radieux, la nation arc-en-ciel est aujourd’hui en panne, au sein d’un continent noir dont elle a sonné le grand réveil.
L’Afrique s’affirme dans les années 2010 comme le continent le plus dynamique de l’économie mondialisée derrière l’Asie, avec une progression de l’activité de 5,6 % par an. Or, dans le même temps, la croissance plafonne à 2 % en Afrique du Sud, contrastant avec ses voisins qui s’émancipent de la trappe du mal-développement, à l’image du Mozambique (8,3 %), de la Zambie (6,5 %) ou de l’Angola (5 %). En quelques années, l’Afrique du Sud a vu sa part dans la richesse de l’Afrique subsaharienne ramenée de 50 à 30 %, ce qui lui a valu de perdre en 2014 son statut de première puissance économique du continent au profit du Nigeria (522 milliards de dollars contre 351 milliards). Dans le même temps, elle se trouve dépassée sur le plan technologique par l’Afrique de l’Est, notamment par le Kenya, qui s’impose comme un des laboratoires de l’économie numérique.
Avec la Russie, frappée de plein fouet par le contre-choc pétrolier et les sanctions internationales, et le Brésil, victime de la fin du supercycle des matières premières, d’une corruption endémique et de la démagogie de Dilma Rousseff, l’Afrique du Sud compte parmi les stars déchues des BRIC. Sa croissance limitée à 1,5 % en 2014 et son chômage qui touche 25 % de la population active plombent l’Afrique australe, dont elle fut longtemps le moteur et dont elle représente 60 % du poids économique.
L’année 2015 débute de manière peu encourageante. La croissance n’excédera pas 1,8 %, tandis que l’inflation approchera 6 %. Un triple déficit accroît dangereusement la vulnérabilité du pays aux mouvements de capitaux spéculatifs : déficit budgétaire de 5,1 % du PIB ; déficit commercial de 3,6 % du PIB ; déficit courant de 5 % du PIB. La dette publique a explosé, passant de 15 à 51 % du PIB depuis 2008, ce qui a justifié la chute de sa notation financière. La dette extérieure atteint 40 % du PIB, alors même que le rand a violemment décroché et que les réserves de change ne représentent plus que deux mois et demi d’importations.
Le coup d’arrêt de l’Afrique du Sud comporte une part conjoncturelle, avec la baisse du prix des matières premières impulsée par le ralentissement de la Chine. Mais ses causes profondes sont structurelles : l’érosion de la compétitivité ; la fuite des capitaux qui pénalise l’investissement ; les carences dans le secteur des infrastructures, particulièrement dans les transports et l’énergie (la compagnie d’électricité Eskom cumule l’insuffisance de ses capacité de production et un surendettement massif qui dépasse 20 milliards de dollars) ; la multiplication dévastatrice des grèves dans les mines et dans la métallurgie, qui témoignent de la montée des tensions sociales en raison de l’importance du chômage et des inégalités.
Sous la dégradation de la compétitivité et du climat des affaires pointe le problème crucial de l’État ANC. Le 7 mai 2014, l’Afrique du Sud a organisé sa cinquième élection présidentielle libre, qui s’est conclue par la large victoire de Jacob Zuma. Alors que la gouvernance et l’État de droit enregistrent des progrès significatifs en Afrique, l’Afrique du Sud se révèle de plus en plus gangrenée par la criminalité et la corruption. Avec pour symbole le scandale de la rénovation de la résidence de Jacob Zuma dans le KwaZulu-Natal pour près de 20 millions d’euros. Par ailleurs, l’ANC n’a pas totalement accompli sa mue d’un mouvement de résistance armée en parti de gouvernement. Les mentalités restent imprégnées par l’idéologie communiste des années de lutte contre l’apartheid et par l’hostilité envers le droit, le marché et les démocraties occidentales.
Les atouts de l’Afrique du Sud demeurent considérables : des richesses naturelles exceptionnelles ; une économie diversifiée, avec des services à haute valeur ajoutée ; la première place financière du continent à Johannesburg, dont la capitalisation atteint 380 milliards de dollars. Ses entreprises jouent un rôle clé dans le développement et la restructuration du capitalisme africain, puisqu’elles ont réalisé 34 % des fusions et acquisitions l’an dernier, avec une situation de leadership dans les biens de consommation, la distribution et le crédit bancaire. L’Afrique du Sud, forte du prestige du dépassement de l’apartheid et de l’aura de Madiba – surnom de Mandela -, demeure enfin la première puissance politique et militaire du continent.
Pour autant, des réformes majeures sont indispensables pour porter la croissance à 5 % par an, condition requise pour réduire le chômage et les inégalités, mais aussi pour stabiliser la démocratie et désarmer la révolte des jeunes, dont 65 % sont inemployés. La première touche la redéfinition du modèle économique, assis sur la rente minière, et du pacte social. La deuxième impose de relancer l’investissement privé, notamment dans les infrastructures, ce qui suppose d’améliorer l’attractivité du pays, de garantir la propriété et d’assurer la protection des capitaux internationaux. La troisième porte sur l’ajustement budgétaire afin de diminuer la vulnérabilité financière du pays. La quatrième, déterminante, touche à l’organisation du pouvoir : l’Afrique du Sud a accompli sa transition démocratique, mais pas l’ANC. La lutte contre les dérives du culte de la personnalité et contre la corruption passe par la fin de l’État ANC, qui ne peut intervenir que sous la pression des élites et des nouvelles classes moyennes noires. Le décollage de l’Afrique est là pour rappeler que la paix civile, le pluralisme politique et l’État de droit sont les meilleurs alliés de la croissance et du progrès social.
Chronique parue dans Le Point du 12 mars 2015)