Le pays que dirige Dilma Roussef est dans une impasse. Ce qui se joue au Brésil va impacter l’Amérique latine toute entière.
Après une année 2014 marquée par la déroute historique de la Seleçao en demi-finale de la Coupe du monde face à l’Allemagne (1-7), le Brésil débute 2015 avec la chute de Petrobras. La découverte d’un vaste système de corruption portant sur plus de 4 milliards de dollars a fini par contraindre à la démission, le 4 février, sa directrice générale, Maria das Graças Foster, fidèle de Dilma Roussef. Elle laisse une entreprise exsangue, avec une dette de 140 milliards de dollars. Une entreprise dont l’action, cotée à Sao Paulo et à Wall Street, a dévissé de 80 %, déclenchant de multiples procédures judiciaires, des investigations des autorités boursières – dont la SEC aux États-Unis – et la formation d’une commission d’enquête parlementaire.
La chute de Petrobras, qui a largement contribué au financement du Parti des travailleurs et de ses programmes sociaux, est symbolique de la fin du miracle qui a fait du Brésil la septième économie mondiale. La trajectoire du Brésil est aujourd’hui insoutenable. La croissance stagne (0,3 % prévu en 2015) alors qu’elle atteignait 7,5 % en 2010. L’inflation s’élève à 6,5 %. Le chômage remonte pour toucher 6,8 % de la population active. La pauvreté progresse. Un triple déficit se creuse : déficit commercial de 3,9 milliards de dollars ; déficit courant de 4,2 % du PIB ; déficit budgétaire de 6,7 % du PIB qui a conduit la dette publique à 63,4 % du PIB à fin 2014. Hier figure de proue de l’ascension des Brics avec Lula, le Brésil de Dilma Roussef illustre la déconfiture de certains grands émergents.
La tentation est grande d’imputer ce trou d’air à des causes extérieures telles que la guerre des monnaies ou le contrechoc pétrolier. De fait, le blocage du Brésil est structurel, les deux moteurs de la croissance étant à l’arrêt : la consommation intérieure, du fait du surendettement des ménages et de l’impossibilité d’accroître les transferts sociaux financés par l’endettement de Petrobras ; les matières premières, dont les exportations pâtissent du ralentissement de la Chine. Par ailleurs, le Brésil souffre de profonds déséquilibres : la stagnation de la productivité du travail, dont le coût a augmenté de 150 % en dix ans, et le déficit chronique d’investissement ; la faiblesse de la concurrence en raison du protectionnisme ; l’indigence des services publics, particulièrement dans l’éducation et la santé ; l’ampleur des inégalités sociales et territoriales ; la faiblesse de l’État de droit, qui favorise une corruption endémique et la montée de la violence.
Ces signaux d’alerte ont été systématiquement ignorés pour les besoins de l’organisation de la Coupe du monde de football puis de la difficile réélection de Dilma Roussef en octobre dernier avec 51,6 % des voix. Elle n’a cessé de nier la crise en cédant à une dérive démagogique et nationaliste, cherchant des boucs émissaires dans les « prédateurs internes et les ennemis de l’extérieur ».
Le Brésil et sa présidente sont gravement déstabilisés. Dilma Roussef, qui a présidé Petrobras de 2003 à 2010, pourrait voir sa responsabilité engagée dans la mise en coupe réglée de la compagnie, voire faire l’objet d’une procédure de destitution. Elle ne peut s’appuyer ni sur son gouvernement de coalition pléthorique, qui compte trente-neuf membres issus d’une douzaine de partis, ni sur une majorité hétéroclite. Le rétablissement des finances publiques et la politique de l’offre indispensables au redressement vont à l’opposé de sa campagne et valident le programme de son opposant, Aécio Neves. Appelant à « la rigueur sans les sacrifices », elle tente une improbable synthèse entre le projet du candidat libéral battu – de la hausse des taux d’intérêt aux 8 milliards de dollars de coupes budgétaires annoncées – tout en persistant à augmenter le salaire minimum ou les pensions de retraite.
Avec le Brésil se joue le destin de l’Amérique latine, dont il représente 60 % du poids économique. Le continent est écartelé entre deux blocs qui divergent. Les pays stables en forte croissance, assis sur une solide compétitivité et une large ouverture internationale, comme le Chili ou la Colombie. Les pays qui basculent dans le chaos, à l’image de l’Argentine de Cristina Kirchner – qui conjugue la récession et le défaut financier avec le scandale né de la mort suspecte du procureur Nisman, qui était sur le point de l’inculper – ou du Venezuela de Nicola Maduro – l’un des pays les plus riches du monde que le chavisme mène à un défaut programmé grâce au cumul de la récession (-4 %), d’une inflation supérieure à 60 % et d’une dette publique sortie de tout contrôle.
La profonde division du Brésil reproduit celle de l’Amérique latine. Il est vital que le Brésil, fort de ses formidables atouts, mette un coup d’arrêt à la dérive autoritaire, nationaliste et populiste de Dilma Roussef pour choisir résolument le camp de l’État de droit et de la réforme économique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 février 2015)