Face à un modèle de développement devenu insoutenable, la Chine a entamé des réformes structurelles d’ampleur, et n’a rien perdu de ses ambitions mondiales.
En 2014, la Chine est devenue la première économie du monde en termes de parité de pouvoir d’achat (17 600 milliards de dollars contre 17 400 milliards pour les États-Unis). Elle a ainsi démenti les inquiétudes sur la progression de son endettement public et privé qui atteint 230 % du PIB à fin 2014 (contre 131 % du PIB à fin 2007) et qui a soutenu l’hypercroissance. Les inquiétudes se concentrent désormais sur le ralentissement de l’activité. Officiellement revenue à 7,4 % en 2014, la croissance s’est en réalité établie autour de 4 %. Elle est attendue à 7 % en 2015, avec une inflation de 3,5 %.
Loin d’être un risque, le freinage en douceur de la Chine est positif pour elle-même comme pour l’économie mondiale.
Après trente-cinq ans d’un décollage météorique, le modèle de développement de la Chine, tiré par le crédit et l’exportation, est devenu insoutenable. Économiquement parce qu’il a généré des surcapacités industrielles massives. Financièrement parce qu’il s’est dégradé en économie de bulle, notamment dans l’immobilier et sur les Bourses de Shanghai ou Hongkong. Écologiquement par ce qu’il a dévasté l’environnement, rendu les villes invivables et les campagnes stériles. Politiquement parce qu’il a été gangrené par la corruption.
La Chine, contrairement à l’Europe ou au Japon, n’est nullement menacée d’une longue stagnation. Elle tend vers une croissance de 5 % qui est cohérente avec son évolution démographique. Elle poursuit la conversion de son modèle économique vers ce que Xi Jinping qualifie de « nouvelle norme », à savoir une croissance plus qualitative et moins quantitative, tirée par la consommation et non plus la seule exportation.
Sous le leadership de Xi Jinping qui renoue avec le culte de la personnalité de l’époque maoïste, la Chine est bel et bien en passe de réussir son atterrissage en douceur. La consommation des ménages progresse régulièrement pour atteindre 36 % du PIB, ce qui se traduit par la montée des biens de consommation courante face aux investissements et aux exportations. La construction d’un État-providence libère les jeunes générations du poids de l’épargne (40 % du PIB). La montée en puissance des services vient diversifier la monoculture industrielle. La lutte contre la pollution devient une priorité nationale. La répression de la corruption et le renforcement de la justice vont de pair avec la pression en faveur du désendettement des gouvernements locaux (dette de 3 100 milliards de dollars).
La Chine s’est engagée dans un vaste plan d’assainissement, fondé sur la rationalisation du crédit et le désendettement public et privé, sur la restructuration des entreprises d’État, sur la concentration autour des projets d’infrastructures rentables qui bénéficieront de 1 100 milliards de dollars, sur la structuration commerciale de l’Asie autour de deux nouvelles Routes de la Soie, l’une en direction du Moyen-Orient et de l’Afrique, l’autre en direction de la Russie.
La stratégie de long terme demeure conforme aux objectifs fixés par le 3e plénum du 18e congrès en novembre 2013 : élargissement du marché avec la concurrence et les privatisations d’entreprises publiques ; priorité à consommation associée à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales ; accélération de l’ouverture autour des trois nouvelles zones de libre-échange de Tianjin, Guandong et Fujian ; internationalisation du yuan pour contester le monopole du dollar, ce qui s’est traduit en 2014 par l’abandon du change fixe du yuan.
La Chine contribue ainsi au rééquilibrage du marché mondial, en diminuant la pression sur les ressources naturelles et sur l’environnement, en réduisant les déséquilibres des échanges et des paiements mondiaux. Elle met ainsi fin au supercycle des matières premières des années 2000.
La Chine réaffirme dans le même temps ses ambitions de puissance de trois façons : le contrôle renforcé du Parti communiste sur la société et la reprise en main idéologique des élites et de la jeunesse, notamment dans les universités, au risque de bloquer la créativité et l’innovation ; la concurrence des institutions de Bretton Woods jugées trop favorables à l’Occident avec la création de la Banque multilatérale de développement des Brics et de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures ; la conquête du leadership de l’Asie-Pacifique en profitant du trou d’air de la diplomatie et de la stratégie des États-Unis.
La Chine de Xi Jinping fait la démonstration de sa capacité de se réformer en maîtrisant le rythme du changement. Mais la réforme économique a pour compagnon de route le nationalisme, qui s’affirme plus que jamais comme le stade suprême du communisme.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 janvier 2015)