Le nouveau régime chinois, dirigé est entré de plain-pied dans le XXIe siècle en adoptant une diplomatie « forte » et « douce » à la fois.
Le sommet de l’Apec qui a réuni à Pékin 21 États du Pacifique consacre le rôle mondial de la Chine face à des États-Unis diminués et divisés. Xi Jinping, le dirigeant chinois qui dispose des plus grands pouvoirs depuis Deng Xiaoping, entend fonder le leadership chinois sur trois piliers : la réforme et le nationalisme économiques ; la domination en Asie autour du projet de Nouvelle Route de la soie ; la rivalité assumée avec les États-Unis.
Après la modernisation intérieure lancée en 1979, après le choix du capitalisme dans les années 1980, après l’ouverture extérieure qui a culminé avec les Jeux olympiques de Pékin et l’Exposition universelle de Shanghai, la Chine débute les années 2010 en rompant avec la diplomatie prudente de Deng Xiaoping. Xi Jinping entend tirer tout le parti d’une configuration très favorable à la Chine pour quatre raisons. Elle est devenue la première économie du monde en termes de parité de pouvoir d’achat (base 2011). Elle est en situation, face à un Japon vieillissant et stagnant, de conduire l’intégration de l’Asie, vers laquelle bascule le centre de gravité du capitalisme mondial. Elle bénéficie du trou d’air des États-Unis qui cumulent la faible autorité du président, la paralysie de leur système politique, la perte de cohérence de leur diplomatie et de leur stratégie. Elle s’affirme comme le partenaire privilégié tant des grands émergents comme le Brésil ou l’Afrique que des pays en rupture de ban avec l’Occident comme la Russie, l’Iran, voire la Turquie de Recep Erdogan. La diplomatie chinoise a ainsi effectué une démonstration de force sur trois terrains : la relation bilatérale sino-américaine ; la domination de l’Asie-Pacifique ; la gestion des crises mondiales.
Xi Jinping s’est félicité de l’émergence d’un nouveau modèle de relations entre les États-Unis et la Chine, fondé sur trois accords majeurs. Le premier met en place un système d’échanges d’informations et d’alerte pour prévenir les confrontations militaires en Asie et éviter les risques de collision sur mer ou dans les airs. Le deuxième libéralise les échanges dans le secteur clé des technologies de l’information. Le troisième fixe des engagements pour la réduction des gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement climatique : pic d’émission autour de 2030 et production de 20 % de l’énergie à partir de sources décarbonées du côté chinois ; réduction de 26 à 28 % des émissions d’ici à 2025 côté américain.
Mais sous ces accords pointe la rivalité féroce pour le contrôle de l’intégration économique de l’Asie. Les États-Unis avaient un temps d’avance avec le projet de partenariat transpacifique (TPP) conçu pour encercler la Chine avec douze pays. La Chine a comblé son retard en proposant un grand marché asiatique autour d’une Nouvelle Route de la soie qui rassemblerait quinze pays – à l’exclusion des États-Unis. Parallèlement, elle est le principal promoteur de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, créée le 24 octobre dernier, avec pour double objectif d’organiser l’Asie autour des Asiatiques – au premier rang desquels la Chine – et de faire pièce aux institutions de Bretton Woods jugées trop favorables à l’Occident. Enfin, elle met à profit toutes les occasions pour contester la domination américaine de l’Internet.
La stratégie chinoise manie la carotte et le bâton. D’un côté, les revendications territoriales, la montée en puissance militaire, les pressions économiques et financières, avec pour test les tensions avec le Japon illustrées par la poignée de mains glaciale entre Xi Jinping et Shinzo Abe. De l’autre, la volonté de calmer les craintes nées de sa volonté de puissance, via les aides économiques et financières pour les alliés ou encore l’apaisement face aux réactions violentes des peuples, à l’image de la relance des liens avec le Vietnam après les violents affrontements autour de la zone maritime exclusive.
L’adoucissement formel de la posture diplomatique en Asie va de pair avec la mise en scène d’un rôle d’arbitre et de médiateur mondial, face à des États-Unis présentés comme source d’instabilité et de conflits, notamment dans la nouvelle guerre froide qui les oppose à la Russie de Vladimir Poutine. La Chine, dont l’économie, équivalente à celle de l’URSS en 1980, est désormais huit fois plus importante, a tout à gagner à se rapprocher de la Russie et de ses hydrocarbures – d’où le contrat gazier de 400 milliards de dollars sur trente ans. Elle se pose à la fois acteur et garant d’une reprise du dialogue entre les anciennes superpuissances de la guerre froide.
Le sommet de Pékin marque ainsi un renouveau de la Chine comme empire du milieu. En évoquant le rêve chinois, Xi Jinping a marqué le caractère global de son ambition qui vise à restaurer la Chine non seulement comme puissance mais aussi comme civilisation. L’objectif consiste à assumer le leadership en termes de capacité à conduire des réformes et des stratégies de long terme, mais aussi de valeurs, d’attractivité et de créativité. Tandis que la Nouvelle Russie rejoue le XIXe, tandis que les États-Unis s’interrogent sur leur puissance perdue du XXe siècle, Xi Jinping fait du XXIe siècle celui de la Chine.
(Chronique parue dans Le Point du 17 novembre 2014)