Mauvais diagnostic, prescription inadaptée… Le gouvernement est en train de tuer notre système.
La loi santé du gouvernement constitue une nouvelle contre-réforme ruineuse. Trois principes la sous-tendent : la gratuité avec la généralisation du tiers payant avant 2017 ; l’étatisation avec le renforcement des agences régionales de santé et du monopole de l’État sur les données de santé ; la réorganisation du système de soins autour de l’hôpital public, avec pour symbole le retrait des missions de service public assurées par les cliniques.
Le système de santé français doit être profondément réformé. Ses performances stagnent, avec le 9e rang mondial en termes d’espérance de vie et 67 % des Français en bonne santé, contre 69 % dans les pays développés. D’importantes lacunes subsistent, notamment dans le domaine des maladies mentales ou de la lutte contre les suicides (13,8 pour 100 000 habitants, contre 6,2 au Royaume-Uni et 4,9 en Italie). Les inégalités se creusent ; avec des écarts d’espérance de vie qui atteignent 6,5 ans entre les hommes et les femmes, 7,5 ans entre un cadre et un ouvrier, plus de 5 ans entre le Nord et l’Ile-de-France. Enfin, la dérive financière s’accélère avec des dépenses qui augmentent de 2,5 % en moyenne pour une croissance limitée à 0,4 %, ainsi qu’un déficit compris entre 7 et 10 milliards d’euros qui contribue à alimenter une dette sociale de 162 milliards à fin 2013.
Malheureusement, le gouvernement accumule les erreurs. Erreur de diagnostic, car les inégalités sociales de santé résultent moins des contraintes financières (le reste à charge est limité à 8,8 %) que du cumul des risques professionnels, des comportements à risque et de l’exclusion sociale, ainsi que de la multiplication des déserts médicaux dans les régions rurales et les zones urbaines sensibles. Erreur de prescription, car l’hôpital n’est pas la solution mais le problème. La France compte 2 800 hôpitaux, contre 2 080 en Allemagne et 640 au Royaume-Uni, ce qui se traduit par une surcapacité de plus de 100 000 lits. Les hôpitaux absorbent 37 % des dépenses de santé, avec des prestations plus chères de 22 % que celles des cliniques. Dans le même temps, ils ont accumulé une dette de près de 30 milliards d’euros qui représentent 40 % de leurs recettes (65 milliards). Erreur de stratégie, car l’étatisation du système de santé interdit l’émergence de filières et de réseaux de soins, le développement de la médecine ambulatoire, les progrès dans la prévention, le recours aux nouvelles technologies. Le refus d’ouvrir les données de santé est exemplaire, qui bloque la réorganisation des soins autour du patient et protège l’opacité et les rentes de situation en privant le citoyen des informations les plus indispensables.
Les expériences étrangères confirment cette suite de contresens. En Suède, l’étatisation du système de santé s’est traduite par une baisse de l’espérance de vie par rapport aux autres pays développés, par l’allongement des files d’attente et par une hausse des dépenses de plus 3 % par an. A l’inverse, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, la coordination de tous les acteurs de la chaîne de soins, l’implication des citoyens et le recours massif aux nouvelles technologies ont amélioré l’espérance de vie et réduit fortement les inégalités de santé tout en restaurant l’équilibre financier du système.
La loi santé prépare ainsi méthodiquement un krach de la santé publique en France. Le recentrage sur l’hôpital au détriment des cliniques et de la médecine de ville est absurde, comme le montrent les urgences. Les consultations ont augmenté de 30 % depuis dix ans, générant 500 millions d’euros de surcoûts liés aux 3,6 millions de passages inutiles. La qualité des soins va continuer à se dégrader tandis que les inégalités de santé vont s’emballer avec la baisse du niveau de vie. La recherche médicale est promise au décrochage, prise sous le feu croisé du principe de précaution qui bloque les essais cliniques et de l’impossibilité d’accéder aux données. Enfin, la généralisation du tiers payant, dont le coût est compris entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an, interdit tout retour à l’équilibre de l’Assurance-maladie, ce qui, à terme, la condamne.
Voilà pourquoi il est temps, pour sauver le système de santé français, de rompre avec la démagogie pour engager une véritable réforme dont les principes devraient être les suivants. Abandon de l’étatisation au profit d’une approche territoriale et décentralisée et mobilisation des citoyens autour de la prévention et de la culture du risque grâce aux nouvelles technologies. Mise en place de filières et de réseaux de soins coordonnés autour du patient et non de l’hôpital.
Réorganisation des hôpitaux avec la fermeture des établissements dangereux, la réduction des 20 % de lits en surcapacité, la sortie des 35 heures, le développement de la chirurgie ambulatoire. Alignement progressif des tarifs des hôpitaux sur ceux des cliniques – ce qui réduirait les dépenses de 7 milliards. Programme drastique d’économies sur les transports (3,5 milliards), le médicament via le recours aux génériques, le déremboursement des cures et des médicaments à faible utilité médicale, l’application au secteur public du délai de carence de trois jours en vigueur dans le privé. Relance de la recherche médicale par la suppression du principe de précaution dans la Constitution et l’ouverture des données de santé. La santé est un bien premier, indispensable au bien-être des citoyens comme à la compétitivité de l’économie ou au lien social. Elle ne peut plus être pilotée en fonction des principes de 1945 ; elle doit être repensée -et l’État-providence avec elle- en fonction des risques, des technologies et de la société ouverte du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Point du 06 novembre 2014)