L’Allemagne ne pourra cependant pas relever l’Union européenne sans une France qui se réforme.
La remontée des risques financiers et géopolitiques ralentit la croissance mondiale autour de 3,3 %. Parmi les grands pôles, seuls les États-Unis progressent (2,2 % par an), tandis que la Chine maintient une expansion de 7,4 % grâce à la relance du crédit bancaire. Dans le même temps, les Abenomics sont en passe d’avorter au Japon, le Brésil et la Russie basculent dans la récession.
L’inquiétude se concentre surtout autour de la zone euro, où la faiblesse de la croissance (0,8 %) et de l’inflation (0,3 %) laisse craindre une troisième récession et le basculement dans la déflation. Il s’agirait d’une catastrophe pour l’Europe, mais aussi pour l’économie mondiale puisque les 500 millions de consommateurs de l’Union constituent le premier marché en valeur. Or, le brutal trou d’air que traverse l’économie allemande renforce ces craintes : en août, la production industrielle a reculé de 4 %, les commandes de 5,7 % et les exportations de 5,8 %.
Certes, l’origine du choc n’est pas interne, liée à un déficit structurel de compétitivité comme en France, mais externe, issue de l’impact des crises internationales et de la stagnation européenne sur les exportations qui représentent 54 % du PIB. À court terme, l’économie allemande reste solide, forte d’une croissance de 1,3 %, d’une situation de plein-emploi et de considérables excédents commerciaux. Le rééquilibrage vers la demande intérieure se poursuit avec la mise en place du salaire minimum et la hausse des rémunérations de 3 % par an. Pour autant le freinage de l’Allemagne pourrait faire plonger la zone euro dans une nouvelle récession. À moyen terme, des interrogations surgissent par ailleurs concernant la compensation du déclin démographique par l’immigration, la compétitivité du site Allemagne et de son industrie face à l’avancement de l’âge de la retraite, à l’explosion des coûts de l’énergie et à la pénurie d’investissement, la préservation de l’excellence allemande alors que les entreprises se développent en priorité vers les marchés dynamiques de l’Amérique du Nord, de l’Asie et de l’Amérique latine.
L’Allemagne est à la fois le moteur et le garant de la zone euro, dont elle assure seule le leadership depuis l’effondrement de la France. Elle se trouve prise sous un feu croisé. D’un côté, les contraintes intérieures : juridiques avec le primat de la Constitution assuré par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, institutionnelles avec le rôle du Bundestag en position de législateur de l’Union, politiques avec l’hostilité croissante à la solidarité que cristallise le parti Alternative für Deutschland qui menace directement la CDU. De l’autre, les contraintes extérieures avec sa position de bouc émissaire, accusé d’être responsable de la stagnation de la zone euro de par sa culture de la stabilité qui tournerait à l’obsession de supprimer le déficit et la dette publics et qui exporterait l’austérité en Europe.
Il est vrai que la zone euro doit adopter un policy mix plus favorable à la croissance et à l’emploi, fondé sur l’assouplissement de la politique monétaire, l’étalement de l’ajustement budgétaire et l’accélération des réformes. Il est vrai que l’action de la BCE, notamment la baisse du cours de l’euro qui dynamise les exportations, est positive, mais elle ne suffira pas à éviter la récession si les gouvernements ne font pas leur travail. Il est vrai que tous ne doivent pas s’engager dans l’austérité au même moment et que l’ajustement des uns doit être soutenu par la reflation des autres. Il est vrai qu’il existe un déficit d’investissement en Europe avec un recul de plus de 200 milliards d’euros par rapport à 2007.
La priorité doit donc aller à une meilleure coordination de l’action de la BCE avec les États membres. L’objectif du désendettement doit être maintenu. Mais la suppression du déficit et de la dette ne constitue pas l’objectif final de la politique économique et peut installer des enchaînements déflationnistes dévastateurs, comme l’a montré la Grande Dépression. L’Allemagne serait au reste la première victime de la stagnation et du chômage de masse dans la zone euro, qui entraînerait l’éclatement de la monnaie unique.
La condition du nouveau cours allemand réside toutefois dans la conversion de la France aux réformes. Le dilemme européen n’est pas entre l’austérité et la croissance ; il est entre les réformes et la stagnation. Matteo Renzi l’a bien compris qui respecte l’objectif d’un déficit de 3 % du PIB et engage une réforme majeure du marché du travail. François Hollande le nie qui refuse tant l’austérité que les réformes, condamnant la France à la stagnation et interdisant une stratégie coordonnée de sortie de crise en Europe.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 octobre 2014)