David Cameron a deux visages : la relance de l’économie anglaise, et le dirigeant qui laisse la question écossaise s’enliser.
Le premier ministre du Royaume-Uni est bipolaire. D’un côté, Docteur David a remis sur pied l’économie grâce à une thérapie de choc fondée sur l’austérité qui débouche sur une forte reprise : croissance de 3,1 %, création de 1,2 million d’emplois privés, chômage ramené à 6 % de la population active, déficit public réduit de 10,9 à 6,1 % du PIB avec un retour à l’équilibre pour 2018. De l’autre, Mister Cameron, pour de pures contingences partisanes, risque l’unité et l’avenir du Royaume-Uni en ayant décidé, en 2012 puis en 2013, de recourir au référendum, étranger aux institutions britanniques, pour décider de l’indépendance de l’Écosse et de la sortie de l’Union européenne. Et ce, au beau milieu de crises économiques et géopolitiques qui déstabilisent les classes moyennes et déchaînent les populismes.
Les 4,3 millions d’électeurs écossais ont choisi à 55 % le maintien dans le Royaume-Uni. Pour autant, la défaite de l’indépendance est loin d’être définitive si l’on considère le précédent du Québec où les consultations en chaîne ont monopolisé le débat public pendant plus de vingt ans. Même s’ils ont été battus, Alex Salmond et le Scottish National Party ont su capitaliser sur les failles ouvertes au fil d’une longue histoire : en dépit de la violente répression des jacobites, le destin commun scellé par l’Acte d’union avait été trempé par la révolution industrielle, le progrès technique et scientifique, l’aventure militaire et impériale ; ils ont disparu, remplacés par les coupes dans les dépenses publiques, le pétrole et les technologies, l’Union européenne. Par ailleurs, il est vrai que l’Écosse dispose d’atouts sérieux pour prétendre à l’indépendance au sein de l’Union européenne : sa taille la met à égalité avec le Danemark, la Finlande ou la Slovaquie ; le pays est riche, avec un PIB de 30 600 euros par habitant, même si les réserves de la mer du Nord, exploitées aux deux tiers, s’éteindront vers 2040. Enfin, l’Écosse remplit toutes les conditions requises pour devenir membre de l’Union européenne.
Surtout, rien ne sera plus comme avant ni pour l’Écosse, ni pour le Royaume-Uni, ni pour l’Union européenne. Le bilan de l’aventurisme de Mister Cameron est très lourd. Pour lui-même et son parti, car il va devoir gérer les conséquences du résultat avec la dévolution de pouvoirs renforcés à l’Écosse mais aussi aux autres nations, voire au Grand Londres, avec un risque de refus de la majorité conservatrice qui n’adhère pas à la fédéralisation de fait du Royaume-Uni et n’a pas été élue pour la réaliser. Par ailleurs, la contagion du référendum menace de s’étendre aux autres nations. Pour la City, une incertitude durable est introduite sur les institutions du plus vieil État centralisé d’Europe, incertitude que détestent les investisseurs. Pour l’Europe, c’est la double peine. D’un côté, le référendum écossais rend quasiment inéluctable le référendum de 2017 sur la sortie de l’Union et donc le Brexit, ce qui marquerait un coup d’arrêt historique à l’intégration du continent. Le moindre des paradoxes n’est pas que les partisans de la sortie vont mobiliser exactement les mêmes thèmes que les indépendantistes écossais qu’ils combattaient, tandis que les partisans de l’Europe reprendront les arguments des tenants de l’intégrité du Royaume-Uni, soulignant notamment que l’Union entre pour 50 % des exportations et 53 % des importations de biens et services tout en générant 3,5 millions d’emplois directs. De l’autre, la dynamique des séparatismes européens sort renforcée du vote écossais, de la Catalogne à la Flandre en passant par l’Italie du Nord. Déjà, les Catalans, qui comptent pour 15 % de la population mais pour 19 % du PIB et 25 % des exportations espagnoles, ont décidé d’organiser en toute illégalité leur propre référendum sur l’indépendance le 9 novembre prochain.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la boîte de Pandore ouverte par Mister Cameron :
- Depuis Athènes et la guerre du Péloponnèse, le recours à la démagogie en temps de crise est un jeu irresponsable qui mène les démocraties à la ruine : la plus grande menace pour le Royaume-Uni comme pour les autres nations européennes ne vient pas de l’Union européenne mais de leurs dirigeants.
- Les États-nations européens sont des monuments historiques et des chefs-d’œuvre en péril qui peuvent être aisément fracassés par les passions collectives.
- L’Europe doit se repenser comme une union d’États-nations et non comme un conglomérat de régions et de communautés érigées sur le cadavre des États.
- Chacun, individu, entreprise, nation, continent, doit se préparer aux surprises stratégiques permanentes qui sont la marque d’une l’histoire universelle qui ne cesse de défier notre imagination : quand chacun attendait l’implosion de la Belgique, c’est du Royaume-Uni, plus vieille et solide démocratie du continent, que vient la nouvelle onde de choc qui menace de fracasser les États et l’Union du continent européen.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 septembre 2014)