Le cercle vicieux déflationniste s’est installé. Pour la France, le seul antidote est la croissance, fille des réformes.
La déflation est la diminution durable et autoentretenue du niveau général des prix. Elle est le pire fléau qui puisse affecter une économie de marché. Contrairement à l’inflation qui crée des richesses fictives, elle détruit des richesses réelles, entraînant une spirale de diminution des revenus et des emplois, des capitaux et des investissements.
Le krach de 2008 et la crise des risques souverains qui a culminé en Europe en 2011 sont des chocs déflationnistes. Le premier fut provoqué, comme en 1929, par l’éclatement des bulles spéculatives sur les actifs financiers et immobiliers, débouchant sur l’effondrement mondial du crédit. La seconde se déclencha au croisement du surendettement public et privé, de la déstabilisation des États et des banques, de la construction inachevée d’une zone monétaire adossée à une monnaie surévaluée.
La zone euro entre bel et bien dans une déflation. La croissance est inférieure à 1 % par an. La hausse des prix est limitée à 0,3 %, avec une baisse en Italie (-0,1 %) et en Espagne (-0,5 %). Le chômage se stabilise à un niveau très élevé de 11,5 % de la population active. La dette atteint 94 % du PIB et devient insoutenable dans un contexte de stagnation et de baisse des prix, a fortiori dans des pays comme la Grèce (175 % du PIB) mais aussi l’Italie (136 % du PIB).
Le cercle vicieux déflationniste de la zone euro est enraciné dans des évolutions durables : le recul des salaires réels, notamment dans l’Europe du Sud ; le maintien de taux d’intérêt positifs et le blocage du crédit bancaire aux PME ; la nécessaire réduction des déficits ; le désendettement des ménages et des entreprises ; la sous-compétitivité structurelle de certains pays, au premier rang desquels la France. L’installation de cette spirale déflationniste implique une nouvelle rechute dans la récession, l’envolée des dettes publiques et privées, le blocage des réformes, l’explosion des populismes, la vulnérabilité croissante du continent face aux menaces extérieures. L’euro n’y survivrait pas.
La BCE est parfaitement consciente de l’enjeu, qui, le 4 septembre, a complété le paquet monétaire de juin dernier en effectuant une baisse historique de son taux directeur (0,05 %) et en lançant un programme d’achat de titres privés pour un montant compris entre 700 et 1 000 milliards d’euros. Cette stratégie d’assouplissement quantitatif, dont le moindre mérite n’est pas d’avoir fait reculer l’euro en dessous de 1,30 dollar, est indispensable mais n’est pas suffisante.
La politique monétaire de la BCE doit s’inscrire dans une stratégie globale intégrant tous les instruments de la politique économique et tous les États. Accompagnement de l’ajustement des pays déficitaires par un soutien de l’activité en Europe du Nord, notamment via le rééquilibrage du modèle allemand vers la demande intérieure. Étalement dans le temps du retour à l’équilibre budgétaire et lancement d’un programme européen d’investissement de 300 milliards d’euros (notamment pour réduire la dépendance vis-à-vis des importations d’énergie qui représentent 53,4 % de la consommation). Priorité donnée à la recapitalisation et à la restructuration du secteur bancaire au détriment de la multiplication des projets de taxation et de régulation. Accélération des réformes au plan de la zone euro comme au plan des États (concurrence et ouverture des marchés protégés, fiscalité, marché du travail et du capital, reconfiguration des États et baisse des dépenses publiques), réformes qui sont la condition nécessaire pour la soutenabilité du nouveau cours monétaire.
Mario Draghi souligne à juste titre que le revirement stratégique de la BCE doit s’inscrire dans un projet global de lutte contre la déflation. Et que sa clé de voûte ne se trouve pas dans une improbable relance budgétaire de type keynésien mais dans les réformes structurelles, à commencer par celles du marché du travail. L’échec des Abenomics lui donne raison. Le doublement de la masse monétaire et le glissement du déficit à plus de 11,5 % du PIB associé à la chute de 20 % du yen n’ont pas empêché le Japon de retomber dans la récession faute de réformes. Le Japon se trouve ainsi à la merci d’un choc financier sur une dette publique qui culmine à 245 % du PIB tandis que Shinzo Abe en est réduit à masquer ses revers économiques par une fuite en avant nationaliste.
L’antidote à la déflation, c’est la croissance. Et le moteur de la croissance ce sont les réformes comme le montre le redressement de l’Espagne et de l’Irlande. Voilà pourquoi la France, par son refus obstiné de se moderniser et par la dérive persistante de ses dépenses (57,4 % du PIB), de son déficit (4,4 % du PIB en 2014 et 4 % en 2015) et de sa dette publics (plus de 100 % du PIB en 2016), se voue à la stagnation tout en s’érigeant en principal obstacle à une lutte efficace contre la déflation dans la zone euro.
(Chronique parue dans Le Figaro du 08 septembre 2014)