Le continent connaît une révolution économique solidement adossée à l’optimisme des citoyens.
Au moment où la croissance mondiale plafonne à 3,4 %, au moment où la reprise du monde développé patine (1,1 % dans la zone euro), au moment où les émergents ralentissent fortement (4,6 %), au moment où la Russie bascule dans la récession, le décollage de l’Afrique se confirme. Le continent africain affiche en effet la plus forte progression de l’activité dans le monde avec 5,3 % en 2014, 5,5 % prévus en 2015 et 2016, et plus de 6 % dans la zone subsahélienne. Six des dix pays connaissant le développement le plus rapide se trouvent en Afrique, à l’image du Nigeria, de l’Ethiopie ou de l’Angola. Dans le même temps, l’inflation reste contenue à 6,7 % et le déficit public limité à 3,9 % du PIB. D’où un nouveau statut pour le continent qui, de perdu pour le développement, devient attractif pour les capitaux internationaux, comme le prouve l’accueil de plus de 50 milliards de dollars d’investissements étrangers directs en 2013.
L’Afrique reste certes le continent de la violence extrême, ce que montrent l’arc du terrorisme qui s’étend du Nigeria à la Somalie, les guerres endémiques du Congo ou le chaos qui ravage la Libye et la Centrafrique. Elle demeure le continent des déplacés et des réfugiés, en raison de plus de 500 conflits non étatiques depuis 1990. Elle est la terre d’élection des pandémies, tels le sida et le virus Ebola. Mais elle s’affirme aussi comme la nouvelle frontière de la mondialisation. Avec pour symboles deux géants qui se disputent son leadership. L’Afrique du Sud reste le poids lourd de la partie australe, en dépit des tensions sociales et de l’extension de la corruption. Le Nigeria, fort de ses 160 millions d’habitants, qui seront 400 millions en 2050, et d’une croissance de 8,5 %, s’impose comme la première économie du continent, malgré son instabilité politique, ses divisions ethniques et religieuses ou les exactions de la secte Boko Haram. L’Afrique est à l’aube de ses Trente Glorieuses. Et ses lions s’apprêtent à prendre la suite des tigres asiatiques de la seconde moitié du XXe siècle. Non sans emprunter une voie qui leur est propre et qui se démarque de la priorité accordée par l’Asie à l’industrie et aux exportations vers les pays développés, servies par un très faible coût du travail. Au principe du décollage de l’Afrique on retrouve certains traits communs avec l’Asie. La croissance démographique, qui atteint 2,5 % par an : l’Afrique rassemble 1 milliard d’habitants, en comptera 2,4 milliards en 2050 et 4,2 en 2100. L’urbanisation, avec une proportion de citadins passée de 19 à 39 % depuis 1960, qui dépassera 50 % dès 2040 : le continent compte 52 villes millionnaires, contre aucune en 1950, dont des mégalopoles comme Lagos et ses 17 millions d’habitants ou Kinshasa et ses 10 millions d’âmes. La hausse de la productivité grâce à la scolarisation (77 % des enfants aujourd’hui, contre 52 % en 1990) et la diversification de la production à partir du secteur agricole. L’amélioration de la gouvernance et les progrès de l’Etat de droit : sur les 54 Etats du continent, 20 sont aujourd’hui des démocraties, contre 4 en 1990.
Mais le modèle de développement de l’Afrique comporte aussi des traits distinctifs. Sa stabilité vient de la prééminence de la demande intérieure, dont les moteurs sont la réduction de la pauvreté, passée de plus de 50 % à 31 % depuis 1990, et la constitution d’une classe moyenne qui rassemble près de 350 millions de personnes. Symbole de l’essor de la consommation, l’Afrique est désormais le deuxième marché pour les télécommunications, avec un objectif de 1 milliard de terminaux en 2016. Le continent bénéficie de ses immenses richesses en ressources naturelles, qu’il s’agisse des terres arables, des métaux ou des sources d’énergie – de l’hydraulique au solaire. Le développement n’est pas polarisé autour de l’industrie mais réserve une large place à l’agriculture, aux services et au tourisme, ce qui peut lui permettre d’éviter la dégradation accélérée de l’environnement qui ravage les villes chinoises ou indiennes.
Autre originalité, la croissance n’est pas tirée par l’État mais par le secteur privé, qui génère 90 % des créations d’emplois, deux tiers des investissements et 70 % de l’activité (contre 36,9 % en France), ainsi que par le dynamisme d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui créent 400 000 nouvelles sociétés par an. Le continent a par ailleurs été préservé des excès de la finance, des bulles spéculatives et du surendettement par le sous-développement des banques et sa longue marginalisation dans les circuits de capitaux. Enfin, l’Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation, et ses exportations, qui ont quadruplé depuis 2000, sont largement orientées vers les émergents, notamment la Chine, qui constitue son premier partenaire, l’Inde et le Brésil.
Pour autant, la poursuite du miracle africain n’est pas plus inéluctable que le déclin des pays développés n’est fatal. Elle suppose une culture du changement au niveau des citoyens et du continent.
Quatre défis majeurs devront être relevés :
- L’Afrique a tous les atouts pour devenir le réservoir de main-d’œuvre d’un monde vieillissant, avec une population active qui atteindra 1,5 milliard de travailleurs. Elle devra pour cela intégrer les jeunes et les diplômés, à moins de courir le risque de connaître un chômage de masse qui ne manquerait pas de nourrir l’instabilité politique et sociale.
- L’investissement privé comme public est décisif, notamment dans les infrastructures, dont les lacunes constituent l’un des principaux obstacles à la croissance. Le taux de raccordement à l’électricité et d’accès à des routes permanentes est réduit à 43 %, tandis que la moitié de la population continue à être abritée dans un logement insalubre ou précaire. L’intégration régionale représente un autre levier pour pérenniser et accélérer le développement.
- Au plan du commerce, avec la liberté des échanges et la constitution de grands marchés comme la SACD autour de l’Afrique du Sud ou la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest. Au plan juridique et monétaire, avec des instruments tels que l’Ohada pour le règlement des différends commerciaux ou la zone franc. Au plan des institutions, avec les projets de constitution d’un fonds monétaire africain ou d’une Banque centrale africaine.
- Enfin, la stabilisation des États, la lutte contre le fléau de la corruption et la capacité à assurer la sécurité demeurent indispensables. L’Afrique compte 19 États considérés comme fragiles, à partir desquels prospèrent les groupes terroristes et les activités criminelles. Il revient aux Africains de s’engager clairement du côté de la liberté et du marché. Une coopération étroite doit se nouer entre les Etats africains et la communauté internationale pour éradiquer le terrorisme.
Plus d’un demi-siècle après les indépendances, l’Afrique connaît une révolution économique. Elle est en passe d’échapper à la trappe de la pauvreté dans laquelle elle se trouvait enfermée, grâce à une croissance économique deux fois plus rapide que l’augmentation de sa population. Le décollage de l’Afrique est solidement adossé à l’optimisme des citoyens, ainsi qu’à une nouvelle génération de leaders et d’entrepreneurs qui entend marquer le destin du continent. Pour la France et l’Europe, l’émergence de l’Afrique constitue une immense chance. Par sa vitalité, sa créativité et son ambition, l’Afrique est le meilleur des antidotes à la lassitude et à la tentation de nos vieilles nations de sortir de l’Histoire.
(Chronique parue dans Le Point du 07 août 2014)