La France s’enfonce dans un déni généralisé. Ses réformes sont vouées à l’échec. Le pays est l’homme malade du monde développé.
La corruption du langage est à la fois le baromètre et le moteur du dérèglement des institutions et des esprits dans les démocraties. Les nations libres sont par essence des régimes conservateurs, lents à se mettre en ordre de bataille pour affronter les changements historiques. À l’inverse, l’engagement de leurs citoyens et la mobilisation de la société leur donnent une étonnante résilience, comme l’a montré leur victoire sur les totalitarismes du XXe siècle. Le soviétisme, après le nazisme, est mort de l’institutionnalisation du mensonge, érigé en un dogme d’État que les peuples ont finalement fait voler en éclats. À l’inverse, les démocraties, en dépit de nombreuses erreurs, ont su ne pas se couper du réel et rester fidèles à l’exercice de la raison critique.
Force est de constater, au-delà du déclin économique et social, que la France s’enfonce dans une crise démocratique profonde, qui s’enracine dans le grand écart qu’entretient François Hollande entre les mots et les faits. Démosthène rappelait qu’« il est d’un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent ». François Hollande prouve qu’il n’est pas plus un chef qu’il ne dirige encore un État en se complaisant dans les propos qui flattent au lieu de parler vrai. En témoignent ses invocations rituelles à la reprise et la baisse du chômage, au vivre-ensemble, à la République et à la paix, qui tranchent avec l’accélération de la crise nationale et la dégradation de la situation internationale.
La reprise existe partout dans le monde développé, sauf en France, enfermée dans une interminable stag-déflation par le choc fiscal et réglementaire des Hollandonomics. La croissance plafonnera à 0,6 % en 2014, contre 2,2 % aux États-Unis, 2 % en Allemagne et 3,1 % au Royaume-Uni. Le taux de chômage dépassera 11 % de la population active contre 6 % aux États-Unis, 5 % en Allemagne et 6,5 % au Royaume-Uni. Le déficit public restera supérieur à 4 % du PIB, portant la dette à 97 % du PIB. Le déficit commercial atteindra 3 % du PIB contre un excédent de 3 % pour la zone euro. La richesse par habitant est inférieure de 6 % à la moyenne de pays développés. L’exil des centres de décision et de recherche, des capitaux, des entrepreneurs et des cerveaux s’emballe.
Plus il est fait référence à la République, plus la nation se délite, happée par la dynamique de la violence et de la haine entre les communautés. La délinquance explose. La montée de l’extrême droite a pour pendant la radicalisation d’une partie de la communauté musulmane, qui se traduit par le basculement dans la barbarie d’individus comme Mehdi Nemmouche, responsable de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, et par le départ de plus d’un millier de djihadistes en Syrie où une trentaine ont trouvé la mort. Face aux émeutes de Barbès et de Sarcelles, qui ont été le théâtre des actes antisémites les plus graves hors du Moyen-Orient, il est aussi vain d’appeler à éviter l’importation du conflit israélo-palestinien, qui n’est pas un risque mais une réalité depuis la deuxième intifada, qu’indispensable d’interrompre la spirale des violences qui se déploient pour l’heure en toute impunité.
Le système international connaît sa plus forte déstabilisation depuis la fin des années 1970 avec la montée des tensions en Asie sous la pression chinoise, la contamination du chaos au Moyen-Orient avec l’éclatement de l’Irak et de la Syrie, le renouveau de l’impérialisme russe marqué par l’annexion de la Crimée et l’alimentation de la guerre civile en Ukraine dans l’espoir de provoquer sa partition. L’Europe est particulièrement vulnérable, qui affronte la crise la plus sérieuse pour sa sécurité depuis le déploiement des euromissiles par l’URSS. Elle est ciblée tant par le terrorisme, qui se déploie le long d’un arc courant du Nigeria au Pakistan, que par la dérive sanglante des révolutions arabo-musulmanes ou par les ambitions de puissance de l’Iran ou de la Russie qui remettent en question l’ordre nucléaire, les frontières et les garanties internationales qui régissaient le monde de l’après-guerre froide.
Face à la montée brutale des risques intérieurs et extérieurs, François Hollande s’enferme dans le déni. Faute d’ancrage dans le réel, sa politique est privée de cap pour n’obéir qu’aux incessants revirements dictés par l’équilibre entre les factions qui déchirent le PS. Ses pseudo-réformes sont vouées à l’échec. Loin de stabiliser la crise nationale, il la nourrit en déstabilisant les institutions et en entretenant les citoyens dans la conviction que la politique est impuissante. D’où le vaste espace ouvert à l’extrême droite, aggravé par l’implosion de l’opposition. D’où l’inquiétude des institutions multilatérales et de nos partenaires européens qui mesurent que la France est l’homme malade du monde développé et constitue un risque systémique pour l’Union comme pour l’euro.
Ce ne sont pas le déni et l’optimisme de commande mais la vérité et les résultats de l’action publique qui fondent la confiance. Pour mobiliser l’énergie des citoyens et ranimer l’espoir, il faut d’abord faire la vérité sur la situation du pays, sur les erreurs qui ont précipité sa chute, sur les changements radicaux qu’appelle son redressement.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 juillet 2014)