Un rapport de France Stratégie évoque le déclin français. Face à la stagnation du pays, des mesures courageuses doivent être appliquées.
La mondialisation a surmonté le choc de 2008 et la croissance se stabilise autour de 4,5 % par an, tirée par la montée des classes moyennes du Sud, tout en se rééquilibrant entre pays développés et émergents. Les États-Unis consolident leur reprise et l’Europe sort de récession. Seule la France reste en panne et se trouve menacée d’une longue stagnation.
Panne de croissance, avec une activité qui progressera au mieux de 0,7 % en 2014. Panne de travail avec 3,4 millions de chômeurs et la durée du travail la plus faible du monde développé (1 661 heures annuelles, soit 239 de moins que les Anglais, 186 de moins que les Allemands et 120 de moins que les Italiens). Panne des gains de productivité, bloqués à 0,4 % par an, et de l’investissement, avec une chute de 77 % des capitaux étrangers en 2013. Panne de la création de valeur avec un capitalisme qui se vide du fait de l’exil des dirigeants, des centres de décision et de recherche, des entrepreneurs et des fortunes. Panne de l’ajustement des finances publiques, avec un déficit supérieur à 4 % du PIB et une dette qui approche 100 % du PIB. Panne de l’intégration et de la mobilité, avec l’effondrement du système éducatif et le choix donné à la jeunesse entre émigration et chômage. Panne du dialogue social avec des syndicats illégitimes et irresponsables. Panne des réformes qui mine la confiance dans les institutions et les dirigeants. Panne de l’espoir qui nourrit la violence et l’extrémisme.
Pour toutes ces raisons, la France fait plus que jamais exception au sein d’un monde développé en pleine reprise, qui commence à bénéficier des réformes entreprises pour corriger les déséquilibres accumulés au cours de deux décennies d’économie de bulles. La divergence est particulièrement marquée avec l’Allemagne, qui affiche une croissance de 2,3 %, contre 0,7 %, un taux de chômage de 5,2 %, contre 10,8 %, un excédent budgétaire, contre un déficit supérieur à 4 % du PIB, une dette publique de 77 % du PIB contre 97 %, un excédent courant de 7 % du PIB contre un déficit de 1,4 %.
Les causes de la stagnation française ne sont à chercher ni dans la mondialisation ni en Europe. Elles sont tout entières en France, liées au refus d’adapter le pays à l’émergence du capitalisme universel, à la chute du mur de Berlin et au passage à l’euro. En revanche, l’effondrement français sape la reprise de la zone euro et fait peser une menace sur la monnaie unique, qui ne pourrait résister à un choc sur la dette française. Tout en se ruinant, la France met en danger tant le renversement de stratégie monétaire effectué par Mario Draghi à la tête de la BCE que la coordination entre le soutien allemand à la demande et les réformes structurelles de l’Europe du Sud. La France, par sa taille et sa déliquescence politique, prend ses partenaires européens en otages en leur présentant un dilemme insoluble : soit rester complaisants au risque de relancer la crise de l’euro ; soit imposer les changements indispensables au risque de faire le jeu du Front national.
Le rapport que France Stratégie vient de consacrer à la France dans dix ans sous la direction de Jean Pisani-Ferry marque un début de prise de conscience. Pour la première fois, un organisme gouvernemental, autre que la Cour des comptes ou la Banque de France, brise la loi du déni, accepte le constat du déclin français et le documente, notamment par la chute du revenu par tête, désormais inférieur de 6 % à la moyenne des pays développés, par le décrochage du taux d’emploi et de la productivité, par la chute du niveau scolaire et de la recherche, par la dérive des dépenses publiques. Pour la première fois également, l’échec des tentatives de réformes est imputé au choix d’une méthode progressive et indirecte, alors que toutes les expériences étrangères de redressement – du Canada et de la Suède dans les années 1990 aux États-Unis et à l’Espagne à la fin des années 2000 en passant par l’Allemagne avec l’Agenda 2010 – prouvent que seules réussissent les thérapies de choc.
Malheureusement, France Stratégie fait l’impasse sur les mesures indispensables : baisse des prélèvements sur les entreprises pour rétablir leur taux de marge, sortie des 35 heures, flexibilité du marché du travail, retour à la retraite à 65 ans, baisse des dépenses publiques de 100 milliards sur 1 150 milliards, réduction drastique du nombre de fonctionnaires et révision de leur statut, ouverture à la concurrence des professions protégées. Manuel Valls, contaminé par François Hollande, multiplie les annonces de réformes et ne les fait pas. Au-delà de ce quinquennat de tous les échecs se joue la survie de la Ve République, qui est en passe de mourir de son impuissance à réformer le modèle économique et social français, comme la IVe République fut victime de son incapacité à assumer une stratégie de sortie des conflits coloniaux.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 juin 2014)