La chute libre de la France continue, avec ou sans grèves. Et le hollandisme s’enlise.
Les grèves des cheminots, des taxis et des intermittents du spectacle, sur fond de contestation endémique dans les universités et de jacquerie fiscale, sont la face sociale du populisme dont le Front national est l’expression politique. Ces mouvements sont autant de maladies opportunistes qui se développent sur le grand corps malade d’une économie exsangue et d’une démocratie à l’agonie. Les corporatismes mettent à profit le vide politique créé par le leadership fantomatique de François Hollande pour se disputer le cadavre d’un État en faillite. Ils soulignent l’absurdité de la pseudo-méthode du dialogue social qui consiste à faire dépendre les réformes vitales pour le redressement du pays de syndicats illégitimes autant qu’irresponsables. Pendant les grèves, la débâcle de la France s’accélère, menaçant d’échapper à tout contrôle et de relancer la crise de la zone euro. Elle n’est pas stratégique comme en juin 1940, mais économique et sociale. Elle s’enracine dans un même déni du réel, dans un même refus de s’adapter pour répondre aux transformations du monde, dans une même incapacité chronique à décider et à agir.
Les Hollandenomics sont un désastre sans précédent depuis la déflation Laval de 1935. Sous prétexte de réenchanter le rêve français, François Hollande s’est trompé sur tout : le diagnostic, avec la reprise censée être au coin de la rue ; l’objectif, avec l’inversion de la courbe du chômage grâce aux emplois aidés ; la stratégie, avec un choc fiscal qui, loin de rétablir les finances publiques, a euthanasié la croissance et l’emploi. Le prix à payer par les Français est démesuré. Une croissance bloquée, dont tous les moteurs sont à l’arrêt : consommation et investissement du fait de la hausse des impôts et des prélèvements ; exportations du fait de l’effondrement de la compétitivité des entreprises. Un chômage qui touche 3,6 millions de personnes et qui frappe entre 15 000 et 30 000 salariés supplémentaires chaque mois. Une balance commerciale sinistrée, en déficit de 3 % du PIB quand celle de la zone euro affiche un excédent de 3 % du PIB. Un déficit public structurel de 4 % du PIB qui va conduire la dette au-delà de 100 % du PIB dès 2016.
Aucun secteur de l’économie ou de la société n’échappe au carnage. Au moment où s’affirme le rôle clé des métropoles, Paris est en passe de sortir des dix premières cités mondiales en raison d’une attractivité en berne et du blocage de la croissance : le PIB par habitant n’y a progressé que de 0,8 % par an depuis dix ans contre 2,7 % pour Londres. Le CAC 40, qui constitue la bouée de sauvetage de l’économie française, ressemble à un immeuble haussmannien en cours de restructuration : derrière la façade intacte, maintenue par des étais, on ne trouve que le vide créé par le départ massif des dirigeants et des états-majors, des centres de décision et de recherche, des investissements et des talents. La nation éclate en une myriade de communautés qui ne partagent plus que la peur et la haine, tandis que la jeunesse se voit offrir pour seul choix le chômage ou l’exil – voire le djihad. Le système éducatif se disloque dans l’indifférence générale, abandonnant sous ses décombres 2 millions de jeunes entre 15 et 25 ans.
La chute libre de la France contraste avec le redressement des autres pays européens, notamment dans la zone euro, qui bénéficie de la clairvoyance de Mario Draghi. La divergence avec l’Allemagne est explosive : croissance qui devrait être, d’après les dernières études, de 0,8 % en France contre 2,3 % en Allemagne ; valeur ajoutée de l’industrie limitée à 10 % du PIB contre 22,4 % ; taux de chômage de 10,4 % contre 5,2 % ; taux de chômage des jeunes de 23,2 % contre 7,9 % ; exportations réduites à 23 % du PIB contre 52 % ; dette publique de 97 % du PIB contre 77 %.
Politiquement, la percée du Front national ne relève ni de l’accident ni de la surprise : elle est le résultat logique des échecs de François Hollande, aggravés par l’implosion de l’opposition. Cette poussée de l’extrême droite, s’ajoutant à la mise en place d’une fiscalité confiscatoire et de mesures protectionnistes, achève de discréditer la France sur la scène internationale. Absente de la gestion des crises ouvertes en Ukraine et au Moyen-Orient, la France se trouve écartée des négociations sur la reconfiguration de l’Europe, qui, comme pour le budget de l’Union, se déroulent entre Angela Merkel et David Cameron.
François Hollande a perdu toute crédibilité auprès des Français comme auprès des dirigeants étrangers. Il est à lui seul un facteur d’incertitude majeur qui renforce la crise nationale. Le hollandisme, c’est l’ivresse des mots et l’inanité des décisions, le poids de l’idéologie et le vide de l’action.
Or François Hollande est en train de contaminer Manuel Valls, qui constituait l’unique chance de sauver son quinquennat. Non content de diriger un gouvernement de coalition hétéroclite et de n’être soutenu que par une majorité très relative, le Premier ministre est aspiré par le nihilisme élyséen. Tout est annoncé, rien n’est réalisé. Le bien mal nommé pacte de responsabilité reste dans les limbes avec des baisses de charges et de dépenses toujours inconnues ; le big bang territorial a été dynamité par une carte des régions aussi improvisée qu’absurde et par une usine à gaz départementale qui va générer des dépenses supplémentaires.
Le mal français et ses remèdes sont désormais parfaitement connus. Ils ont été analysés et détaillés par le FMI, l’Union européenne, les sages allemands, la Cour des comptes. La France doit arrêter une stratégie de redressement originale qui lui permette de valoriser ses nombreux atouts au lieu de les stériliser ou de les mettre à la disposition de ses concurrents. Elle relève d’une thérapie de choc à travers cinq pactes. Un pacte productif fondé sur la baisse des prélèvements sur les entreprises et sur un effort d’investissement et d’innovation. Un pacte social assurant la sortie des 35 heures et la flexibilité du marché du travail. Un pacte budgétaire prévoyant de diminuer de 100 milliards les 1 150 milliards d’euros de dépenses publiques en cinq ans. Un pacte citoyen réintégrant les jeunes et les immigrés dans la communauté nationale. Un pacte européen avec l’Allemagne impulsant une spirale vertueuse entre réformes structurelles et intégration renforcée de la zone euro.
Aujourd’hui, de deux choses l’une. Soit le couple exécutif est capable d’appliquer rapidement ce programme de redressement en réunissant une majorité solide pour le soutenir. Soit il sera balayé par la colère des Français, qui devance désormais la pression des marchés et de nos partenaires européens. Il n’est plus temps de parler, il faut délivrer. La France et les Français ne sont pas d’humeur à attendre les réformes comme on attend Godot chez Beckett.
(Chronique parue dans Le Point du 19 juin 2014)