Matteo Renzi, le nouveau président du Conseil, table sur des réformes chocs. Démonstration.
Ignorée ou regardée avec condescendance en France, l’Italie sert souvent, pour le meilleur ou pour le pire, de laboratoire à la politique européenne. Ainsi en fut-il de l’invention du fascisme par Mussolini, du rôle décisif d’Alcide De Gasperi dans la résistance à la poussée soviétique après 1945 puis dans la construction européenne, du renouveau populiste réalisé par Silvio Berlusconi à travers la fusion de la politique et des médias, de la stratégie de sortie de crise de l’euro négociée par les deux Super Mario – Draghi et Monti – avec Angela Merkel. Voilà pourquoi l’électrochoc de l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi et le nouveau cours qu’il entend donner à l’Italie intéressent tout notre continent.
Le Blitz lancé par Matteo Renzi ne peut être compris qu’à la lumière de la crise nationale de l’Italie. Crise économique marquée par une croissance zéro depuis 2000, dont les causes s’enracinent dans la chute de la compétitivité et la concurrence des émergents, la taille réduite des entreprises et l’inefficacité des services publics, la faible qualification d’une partie de la main-d’œuvre et les rigidités du marché du travail, le poids de la corruption et de la criminalité organisée. En dépit du dynamisme de son capitalisme familial et de ses PME, l’Italie paie un très lourd tribut à la crise, avec une chute de 9 % du PIB par rapport à la fin 2007, l’envolée du chômage, qui touche 12,9 % des actifs, une dette publique qui culmine à 134 % du PIB. Crise sociale avec l’exclusion des jeunes, dont le taux de chômage s’élève à 42,3 %, et les tensions croissantes nées de l’immigration. Crise politique avec la montée du populisme et de l’hostilité à l’Europe. Crise institutionnelle avec une instabilité gouvernementale chronique, un État affermé aux partis, l’impuissance à moderniser le modèle italien.
À l’image de Shinzo Abe au Japon, Renzi entend répondre au triple blocage de l’économie, de la société et du système politique par une thérapie de choc. À la manière d’un Mendès France, il s’est donné cent jours pour relancer la croissance, rétablir la confiance et restaurer l’autorité publique en faisant cinq paris. Pari économique d’une baisse de 10 milliards d’euros des impôts acquittés par les 10 millions d’Italiens qui gagnent moins de 1 500 euros par mois et de 3 milliards pour les entreprises qui percevront par ailleurs les 68 milliards d’arriérés de paiement du secteur public. Pari social de la flexibilité du marché du travail avec l’extension des CDD à trois ans. Pari budgétaire de 34 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, en particulier grâce à la suppression de 85 000 postes de fonctionnaires. Pari politique d’un gouvernement paritaire, réduit à seize ministres, qui se donne pour priorité la réforme du mode de scrutin pour favoriser l’émergence de majorités stables, la fin du bicamérisme intégral via la réforme du Sénat, la fusion des provinces avec les régions. Pari européen qui repose tant sur l’utilisation des marges de manoeuvre du traité budgétaire pour laisser dériver le déficit de 2,6 à 3 % du PIB que sur la pression mise sur l’Allemagne et la BCE pour imposer une politique monétaire expansionniste et la lutte contre la surévaluation de l’euro.
Le bilan mitigé des Abenomics au Japon, où la relance bute sur la faiblesse de la consommation, le surendettement (240 % du PIB) et l’enraiement des réformes, souligne les risques de cette stratégie de rupture.
Renzi peut tabler sur la dynamique du renouveau, sur l’exaspération des Italiens face à l’austérité, sur la vitalité de l’industrie et du capitalisme transalpins, sur le surplus du commerce extérieur (30,4 milliards d’euros) et sur un excédent primaire de 2 % du PIB. Il s’inscrit également dans l’évolution des dirigeants de la zone euro qui, sous la pression de la déflation et du péril populiste, inclinent à une détente monétaire et budgétaire.
Pour autant, le pari de la relance demeure sous la menace d’un dérapage de la dette publique et de la fragilité du système bancaire, illustrée par la déconfiture de la plus vieille banque du monde, la Monte dei Paschi di Siena, fondée en 1472, et par les pertes abyssales de 14 milliards subies par UniCredit en 2013. Il dépend tout entier du destin de Matteo Renzi, qui n’est pas le vainqueur des dernières élections et dont le putsch aux dépens d’Enrico Letta laisse de profondes séquelles jusque dans son parti. Enfin, il est soumis à la réassurance de l’Allemagne, qui n’accepte que du bout des lèvres le principe d’une remise en question de l’ajustement budgétaire au moment où il enregistre ses premiers résultats positifs.
En définitive, le sort du quitte ou double italien se jouera avec les réformes qui, seules, peuvent réamorcer la croissance et l’emploi et, par là même, désarmer le risque de krach financier. Ainsi le tournant de la relance amorcé par Renzi n’est-il rendu possible que par les acquis du gouvernement de Mario Monti et par le revirement de la politique monétaire européenne qu’il a engagé avec l’assentiment d’Angela Merkel.
La plus grande prudence s’impose pour tirer les leçons des Renzinomics, dont le succès est loin d’être assuré. Après le Canada et la Suède, l’Allemagne et l’Espagne, l’Italie de Matteo Renzi rappelle que seules les thérapies de choc, fondées sur des réformes généralisées et sur la rapidité d’exécution, peuvent réussir – ce que démontre a contrario l’échec des expériences françaises de changement partiel, progressif et contourné. En revanche, la tentation qui pointe chez François Hollande de s’inspirer de l’Italie pour se libérer de l’austérité et justifier un nouveau report dans la mise en ordre des finances publiques n’a aucun sens. Les Renzinomics ne peuvent être transposés en France dès lors que les réformes mises en œuvre par Romano Prodi et Mario Monti en Italie (retraites, fonction publique, coupes dans les dépenses publiques…) n’ont pas débuté de ce côté-ci des Alpes. La poursuite de l’assouplissement monétaire comme le frein à l’austérité ont pour condition un puissant coup d’accélérateur dans le domaine des réformes. Renzi le comprend et l’assume. Hollande, prisonnier de son indécision, de sa démagogie et de son électorat, a commencé à le dire mais se montre incapable de le faire.
(Chronique parue dans Le Point du 03 avril 2014)