La dépense publique locale échappe à tout contrôle. Avant la mise sous tutelle qui nous menace, un changement de modèle est encore possible.
Au-delà de la sanction de François Hollande, qui joue son quinquennat autour du pacte de responsabilité, au-delà de l’ancrage du Front national comme troisième force politique, les élections municipales 2014 portent des enjeux fondamentaux pour le redressement de la France.
Le modèle français d’organisation de l’État et de gestion des territoires doit être modernisé. Mais la campagne électorale a occulté la discussion sur sa reconfiguration. La France dispose de la carte administrative et de l’organisation territoriale la plus coûteuse et la moins efficace d’Europe. Elle compte 40 % du nombre total des collectivités des 28 États de l’Union, administrées par 525 000 élus. Ce mille-feuille, qui superpose les compétences et les financements, interdit toute rationalité dans la conduite des politiques publiques. Par sa complexité et son opacité, mais aussi par le transfert des missions, des moyens et des personnels dans des structures où les élus se cooptent, le secteur public local échappe à tout contrôle des citoyens.
Au moment où la France se trouve menacée d’être sanctionnée par la Commission européenne et placée sous la tutelle des marchés, force est de constater que les collectivités portent une lourde responsabilité dans la perte du contrôle des finances publiques. La dépense locale s’élève à 236 milliards d’euros, en hausse de 60 milliards en vingt ans hors transferts de compétences. La fonction publique locale emploie 1,9 million d’agents, en augmentation de plus de 75 % depuis 1990, dont le taux d’absentéisme culmine au niveau extravagant de 26 jours par an, comme le relève la Cour des comptes. Cette course folle des dépenses et des effectifs a été financée par la hausse des dotations de l’État, via la dette publique, ainsi que des impôts locaux, qui sapent la compétitivité des territoires.
Sous le mythe égalitaire, les écarts se creusent entre les territoires. Quatre France émergent : une France urbaine, productive et compétitive, qui rassemble le tiers de la population ; une France sinistrée par la désindustrialisation et l’inemploi, en voie de dépopulation (10 %) ; une France protégée, éloignée de la production marchande, au sein de laquelle 45 % de la population vit de la dépense publique ; une France de l’exclusion, qui voit 12 % des citoyens dépendre des transferts de l’État-providence et de l’économie clandestine.
Un nouveau modèle de gestion territoriale doit émerger, qui peut servir de laboratoire pour la réforme de l’État. L’étatisation et la recentralisation sont de fausses solutions : si on ne gouverne bien que de loin, on n’administre bien que de près. Mais les principes de la décentralisation doivent être profondément repensés. Réduction drastique des niveaux d’administration autour de la région fusionnée avec les départements, des métropoles et des intercommunalités. Fin de la compétence générale des collectivités, avec la spécialisation de la région dans le développement économique et des intercommunalités dans les services de proximité. Reconnaissance de la diversité des territoires.
La rigueur s’impose comme un impératif tant pour l’État que pour les collectivités. Être élu, c’était dépenser ; demain, ce sera faire des choix et économiser. Il n’est plus possible d’augmenter les impôts. Il n’est plus possible de recourir à la dette. Donc, il n’est pas de substitut à la réduction des dépenses et des effectifs, au moment où les concours de l’État devront baisser de 10 milliards d’euros dans le cadre des 50 milliards d’économies à réaliser d’ici à 2017.
Le changement radical du modèle territorial a pour condition la réorganisation des compétences et un pacte de responsabilité financière entre l’État et les collectivités. La modernisation du secteur public local ne doit pas être guidée par la seule logique de la rigueur ; elle constitue une clé pour la réforme de l’État, et la mobilisation de la société civile représente la dernière chance d’éviter le passage sous la tutelle de la troïka ou des marchés financiers.
À l’image des États-Unis ou du Royaume-Uni, qui testent cette nouvelle approche à travers la création de l’Office of Social Innovation and Civic Participation ou du projet de Big Society, la France doit inventer un nouveau modèle d’action publique fondé sur trois principes : la décentralisation autour de collectivités dotées de missions claires et soumises à un principe de responsabilité financière ; l’ouverture en direction des acteurs économiques et sociaux ainsi que de l’international ; la participation des citoyens via le recours aux nouvelles technologies et le libre accès aux données publiques.
(Chronique parue dans Le Point du 27 mars 2014)