Le cas britannique est à scruter à la loupe, et la reprise spectaculaire de l’économie du Royaume-Uni est à étudier et à nuancer.
En prologue au Crunch, le choc France-Angleterre qui ouvre cette année le Tournoi des six nations, le Royaume-Uni a débuté 2014 en étrillant notre pays au plan économique. Londres vient en effet de recevoir du FMI la palme de la révision à la hausse de la croissance dans les pays développés, avec une réévaluation à 2,4 %, quand la France fait tristement exception avec une activité qui stagne autour de 0,9 %. Dans le même temps, le taux de chômage vient de chuter à 7,1 % outre-Manche, alors qu’il continue à progresser dans notre pays où il est en passe d’atteindre 11%. Enfin la vigueur de la reprise britannique permet d’accélérer la baisse du déficit public grâce à 8,6 milliards de livres de recettes supplémentaires en 2013, soit très exactement le montant de 11 milliards d’euros des moins-values fiscales provoquées par l’envolée des impôts en France.
La reprise britannique paraît durable car tirée par la production et touchant l’ensemble des secteurs d’activité. Les deux moteurs traditionnels de la City et de l’immobilier londonien fonctionnent de nouveau à plein régime : la place financière de Londres monopolise les transactions sur l’euro ; le nombre de transactions immobilières dans la capitale britannique a bondi l’an dernier de 25 %. Mais l’activité manufacturière est également à son plus haut depuis 1995. L’industrie automobile a construit plus de 1,3 million de véhicules en 2013. Enfin, le tourisme s’envole avec une hausse de 8% des visiteurs de Londres (plus de 16 millions de personnes l’an dernier), devançant ainsi Paris.
Le succès britannique repose sur une politique économique à la fois agressive et cohérente qui se déploie autour de quatre axes. Une politique monétaire très accommodante fondée sur les taux zéro, les rachats massifs de titres de dettes par la banque centrale et la dévaluation de la livre sterling. À la différence des États-Unis, le choix de l’austérité budgétaire qui a permis la réduction de 4,3 points de PIB du déficit structurel depuis 2010 réalisée aux quatre cinquièmes par la réduction des dépenses, notamment via la suppression de 650 000 postes de fonctionnaires dont 400 000 dans les administrations locales et la coupe de 20 milliards de livres dans les transferts de l’État-providence. Seuls ont été épargnés les secteurs de l’éducation et de la santé. Un vigoureux effort de reconstitution de l’offre productive grâce à la flexibilité du marché du travail, à la restructuration et la recapitalisation du secteur bancaire, au réinvestissement dans l’énergie à travers le nucléaire et le gaz de schiste, à l’attraction des investisseurs et des entrepreneurs grâce à un statut de résident très favorable au plan fiscal. Enfin, le renforcement de la concurrence, notamment dans les services, qui va de pair avec celui de l’État de droit et la protection des libertés civiles, mises à mal après les attentats du 11 septembre 2001.
La spectaculaire reprise du Royaume-Uni ne signifie nullement que la crise est terminée et que les séquelles du terrible choc de 2008 et 2009 sont résorbées. L’activité, l’emploi et les bénéfices de la croissance sont très inégalement répartis : Londres concentre 22 % du PIB et la moitié des emplois créés, tandis que le secteur de la finance et les plus riches ont perçu la majeure partie des dividendes de la relance. La menace de bulles spéculatives est de nouveau présente sur les marchés d’actions, à leur plus haut, comme dans l’immobilier, avec une hausse des prix à Londres de plus de 12 % en 2013. Le déficit public reste élevé, alimentant une dette qui dépasse désormais le niveau critique de 90% du PIB.
Le plus grand risque n’est cependant pas le retour à la récession économique mais la sécession politique, qui pourrait casser net la dynamique du redressement britannique. Sécession interne, par le bas, avec le référendum du 18 septembre prochain sur l’indépendance de l’Écosse qui compte 5 millions d’habitants, représente plus du tiers du territoire et la moitié des côtes, abrite l’essentiel des réserves d’hydrocarbures. Sécession européenne, par le haut, avec la perspective du référendum de 2017 sur l’appartenance à l’Union européenne, qui, en cas de vote négatif lié à la forte poussée du parti protestataire Ukip, déstabiliserait la City et priverait le Royaume-Uni de sa position de leader de contrepoint du continent, aux côtés de l’Allemagne qui réassure la zone euro.
Le Royaume-Uni ne peut nullement être érigé en modèle. En revanche, il fournit des leçons utiles pour une France en mal de redressement et en quête d’une stratégie économique crédible. À la suite de l’Allemagne de l’Agenda 2010, il montre que le déclin des pays européens n’est nullement irréversible à la condition de retrouver la voie d’une production compétitive dans la mondialisation et de se repositionner dans la société ouverte, de mobiliser le travail et d’améliorer sa productivité par l’éducation, d’attirer et d’orienter le capital vers l’investissement, de réformer l’État et la protection sociale, de faire confiance à la société civile.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 janvier 2014)