La question des dettes publiques traverse toutes les économies, émergentes comme développées.
Le 44e Forum économique mondial de Davos s’apprête à célébrer la fin de la crise financière qui a frappé le capitalisme mondialisé il y a sept ans. La croissance atteindra cette année 3,7 % contre 2,4 % en 2013, avec un commerce international en progression de 4,1 % contre 3,1 %. L’activité se réveille dans le monde développé, en hausse de 2,8 % aux États-Unis, 2,4 % au Royaume-Uni, 1,4 % au Japon, 1,1 % dans la zone euro. Le chômage a engagé sa décrue, touchant 7 % de la population active aux États-Unis et 7,5 % au Royaume-Uni tandis que les créations d’emploi redémarrent timidement en Europe du Sud.
Pour autant, cette déclaration de sortie de la crise est prématurée. Elle ne sera effective que lorsque trois conditions seront remplies. Primo, la restauration du plein-emploi y compris le retour au travail des dizaines de millions de travailleurs découragés. Secondo, le rééquilibrage de l’activité entre les grands pôles géographiques et entre demande intérieure et extérieure. Tertio, la soutenabilité de l’endettement public et privé.
Or si la situation s’améliore sur le front de l’emploi et de la répartition de l’activité, elle continue à se dégrader sur le front de la dette. Le retour à la croissance reste très vulnérable à des chocs financiers, même si le risque d’un krach mondial est réduit. Il n’a, en effet, été possible que par un recours intensif et multiforme à l’endettement.
Les pays développés ont injecté 40 % de leur PIB dans le soutien de la demande, au prix d’une hausse de leur dette publique de 75 à 108 % de leur PIB. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, l’accélération de la reprise va de pair avec la reconstitution de bulles spéculatives sur les marchés boursiers et immobiliers. Au Japon, la course folle d’une dette publique qui atteint 250 % du PIB se trouve déstabilisée par le creusement du déficit commercial avec les importations d’énergie ainsi que par la difficulté de Shinzo Abe à réaliser les réformes structurelles. La zone euro reste menacée par la déflation, avec une hausse des prix limitée à 0,8 % en 2013, et par l’effondrement du crédit aux PME.
Dans les pays émergents, la dette publique est réduite à 32 % du PIB, mais la dette privée a proliféré en raison d’une création monétaire débridée et du système bancaire officiel ou officieux bénéficiant d’une garantie implicite des États. Ainsi, la Chine a triplé la masse monétaire depuis 2006, laissé se constituer un système bancaire clandestin qui atteint 44 % du PIB et accumulé une dette publique et privée qui culmine à 218 % du PIB. La dette privée s’élève également à 90 % du PIB en Inde et 80 % au Brésil, 70 % en Turquie. Enfin, une majorité de pays d’Europe centrale et orientale cumulent dette extérieure, fort déficit courant, inflation et instabilité politique.
En 2014, les dettes publiques vont continuer à augmenter avec le relâchement de l’austérité budgétaire aux États-Unis et en Europe, mais aussi sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt à long terme déclenchée par la normalisation progressive des mesures de quantitative easing de la Fed. Pour être mieux répartie, la croissance sera très loin d’être uniforme : elle ne sera plus dictée par une ligne de partage nord/sud mais se polarisera, au nord comme au sud, dans les nations compétitives qui démontrent leur capacité à se réformer. Certains pays concentreront l’activité, les créations d’emploi et les entrées de capitaux, qui permettront d’accélérer la reprise et le désendettement. D’autres seront sous la menace d’une dégradation, voire d’une rupture de leur financement.
Les risques financiers qui découlent de l’excès des dettes publiques et privés peuvent être maîtrisés à six conditions : assurer la sincérité et la transparence des comptes ; accorder la priorité à la compétitivité et donc à l’innovation qui fondent une croissance durable et qualitative ; être attractif pour les capitaux nécessaires à l’investissement comme au financement des États ; remettre sous contrôle le secteur bancaire clandestin ; réduire la dépense publique tout en améliorant sa productivité ; éviter la déflation dans la zone euro en confortant ses institutions et en accélérant l’union bancaire.
Le retour de la croissance mondiale renforce l’impératif de la soutenabilité financière. Celle-ci dépend de la qualité de la gouvernance et de l’aptitude à conduire des réformes, de la richesse des nations face à leur dette publique et privée, de la robustesse des modèles de développement, enfin de la crédibilité budgétaire et de la capacité à lever l’impôt. La France, dont la dette publique atteindra 95 % du PIB en 2014 contre 78 % du PIB pour l’Allemagne, reste particulièrement exposée à un choc financier, comme le confirme le regain de tension sur ses taux d’intérêt et sur sa signature depuis la fin 2013.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 janvier 2014)