Face à ses dilemmes et défis, la Chine a plusieurs atouts essentiels pour se réformer.
Le vieillissement de la population et la crise du capitalisme universel obligent les nations, développées ou émergentes, à réinventer leurs modèles. La Chine doit ainsi se transformer radicalement pour prolonger la dynamique de ses « trente glorieuses » qui l’ont portée au deuxième rang des économies mondiales. Les défis sont sans précédent depuis 1978 : vieillissement et urbanisation de la population ; rééquilibrage du développement vers la demande
intérieure et remontée de la chaîne de la valeur ajoutée ; dégonflement de la bulle des dettes privées ; réduction des inégalités sociales et territoriales ; préservation de l’environnement ; lutte contre la corruption et création d’un État de droit.
D’où un dilemme fondamental : comment réformer l’État et l’économie sans que le Parti communiste perde le contrôle du pouvoir et de l’empire. Un dilemme d’autant plus difficile à trancher que la Chine, pour n’être pas une démocratie, est devenue très difficile à faire évoluer : elle est inégalitaire et hétérogène, traversée par de féroces luttes de pouvoir et d’intérêts -y compris au sein du Parti communiste-, animée par une nouvelle classe moyenne urbaine, éduquée et revendicative, portée par une jeunesse individualiste, connectée et ouverte sur le monde extérieur.
Dans le droit fil des tournants de 1978 puis de 1984, la Chine vient, à l’initiative de Xi Jinping, d’effectuer un choix clair en faveur des réformes. La ligne stratégique arrêtée par le 3e plénum ne souffre d’aucune ambiguïté. Sous l’objectif d’une société socialiste harmonieuse, le pays s’engage dans un développement plus respectueux de sa population et de l’environnement. La Chine prend le parti de l’ouverture sur la mondialisation, du marché et du droit, de l’innovation et de la culture comme soft power.
Le programme des réformes frappe par son ambition et sa cohérence. Sur le plan politique, la priorité va à la débureaucratisation de l’État, à la lutte contre la corruption, à un nouvel équilibre entre le centre et la périphérie. Sur le plan institutionnel, l’État de droit marque d’importants progrès avec l’indépendance des tribunaux face aux gouvernements locaux et avec la suppression des camps de rééducation par le travail ; le droit de propriété est reconnu aux paysans.
Sur le plan économique, le rôle du marché devient central et les règles applicables au secteur public sont durcies. D’un côté, les domaines de la finance, de l’éducation, de la santé et de la culture sont ouverts à la concurrence ; parallèlement l’internationalisation du yuan renminbi est accélérée, avec pour vecteur la création d’une place financière offshore à Shanghai. De l’autre, les services publics de l’eau, de l’énergie et des télécommunications appliqueront des prix de marché ; les entreprises d’État seront soumises à la concurrence et devront reverser 30 % de leurs bénéfices au Trésor public contre 5 à 15 % aujourd’hui ; elles pourront être privatisées et restructurées selon le droit commun des faillites.
Sur le plan social, le principe de l’enfant unique est fortement assoupli, de même que le contrôle du lieu de résidence ; les quelque 270 millions de migrants se voient ouvrir l’accès à la protection sociale, à l’éducation et à la santé. Enfin, la protection de l’environnement se trouve affermie afin d’endiguer l’« airpocalypse » qui menace les villes.
La politique est un art d’exécution : il ne suffit pas d’établir un diagnostic exact et de dresser la liste des réformes, il faut les mettre en œuvre. La Chine n’a pas encore gagné le pari des réformes mais dispose de quatre atouts décisifs. Une vision claire de son avenir à moyen terme. Le choix des deux leviers cardinaux que sont le marché et le droit. Une méthode gradualiste et un calendrier souple qui ne mentionne qu’implicitement l’horizon de 2020, ce qui laisse des marges de manœuvre pour s’adapter aux circonstances et aux surprises stratégiques. Un leadership fort autour de Xi Jinping : il est le dirigeant chinois qui concentre le plus de pouvoir depuis Deng Xiao Ping pour avoir assuré en moins d’un an son autorité sur les affaires militaires, la sécurité intérieure, la politique économique et l’idéologie ; il vient de faire la démonstration qu’il n’entendait pas disposer de ce pouvoir comme d’une rente, mais s’en servir pour réformer son pays et construire la Chine du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 25 novembre 2013)