La bonne santé de l’Allemagne attire les foudres de M. Barroso… qui accorde un satisfecit à la France.
La crise de l’euro a fait apparaître les failles du traité de Maastricht, qui a créé la monnaie unique sans remplir aucune des conditions d’une zone monétaire optimale. À côté de la transformation de la BCE en prêteur de dernier ressort, l’instauration d’une surveillance des budgets nationaux et des déséquilibres macroéconomiques fut décisive pour enrayer la menace de son éclatement. Dans la continuité de son calamiteux mandat, la Commission européenne que préside un José Manuel Barroso aux abois vient de priver de crédibilité cette procédure en commettant une double faute. D’un côté, elle a décidé d’ouvrir une enquête sur les excédents courants allemands, qui atteignent 6,4 % du PIB, stigmatisant le seul modèle économique durable apte à réassurer la zone euro. De l’autre, elle a déclaré « globalement satisfaisant » le budget pour 2014 d’une France en pleine débâcle, qui constitue aujourd’hui la menace la plus sérieuse pour la survie de la monnaie unique.
La déclaration de guerre de la Commission européenne à l’Allemagne cumule quatre erreurs :
- Elle intervient à contretemps, car l’Allemagne a déjà engagé le rééquilibrage de sa croissance. Depuis trois ans, les salaires augmentent de plus de 3 % ; les dépenses publiques progressent et l’inflation s’élève à 1,6 % alors qu’elle est nulle en Europe du Sud. La croissance est désormais tirée par la demande intérieure et non par les exportations. Cette dynamique sera confortée par le programme de la grande coalition qui prévoit la création d’un salaire minimum fixé à 8,50 euros par heure et l’assouplissement de la retraite à 67 ans.
- Les exportations allemandes sont principalement orientées vers les États-Unis et les émergents, tandis que la zone euro ne représente que 27,7 % de l’excédent commercial. Elles seront nécessairement touchées par le ralentissement actuel des émergents et par l’amélioration de la compétitivité des pays de la zone euro qui se sont réformés.
- L’Allemagne possède le seul modèle économique durable parmi les grandes nations développées – même s’il n’a pas vocation à être dupliqué -, qui repose sur la compétitivité et non pas sur l’enchaînement de bulles spéculatives. Sa stratégie de sortie de crise est la plus efficace et soutenable : elle a réalisé le retour à l’équilibre budgétaire, le désendettement (dette publique ramenée de 81 à 78 % du PIB) et le plein emploi (42 millions de postes de travail pour un taux de chômage limité à 5,2 % de la population active).
- La Commission valide la thèse fallacieuse selon laquelle l’Allemagne serait responsable des difficultés de l’Europe du Sud. Or l’origine des déséquilibres des pays en déficit est d’abord interne, à l’image de la bulle immobilière et financière espagnole ou du déclin français. Et les pays qui se redressent le plus vite, à l’exemple de l’Espagne ou de l’Irlande, se sont inspirés de l’esprit des réformes allemandes pour améliorer leur compétitivité. Ainsi la position extérieure de l’Espagne est-elle passée depuis 2007 d’un déficit de 11 % du PIB à un excédent de 1,1 % grâce à un formidable effort de productivité du travail, du capital et de la dépense publique.
La sévérité dont témoigne la Commission envers l’Allemagne est d’autant plus incompréhensible qu’elle a pour pendant une coupable complaisance envers la France. Rien ne justifie le satisfecit délivré au budget pour 2014, qui est déjà mort-né. Contrairement aux nations du Sud qui se sont réformées, la France se trouve durablement enfermée dans la croissance zéro. L’investissement et les exportations poursuivent leur chute libre, qui accompagne celle de la compétitivité. Dans les entreprises, 110 000 emplois ont été supprimés en un an et 60 000 vont l’être dans le cadre des plans sociaux en cours. Le choc fiscal tarit les recettes publiques, tandis que les dépenses continuent à augmenter, interdisant la baisse du déficit et le désendettement. La dégradation de la notation financière prend acte de cette désintégration de notre appareil productif et de la bulle des finances publiques, qui rendent inéluctable à terme un choc sur la dette, donc une relance de la crise de l’euro.
Le constat est clair. C’est la France et non l’Allemagne qui tire vers le bas l’activité et l’emploi dans la zone euro. C’est la France et non l’Allemagne qui mène une politique non coopérative. C’est la France et non l’Allemagne qui fait peser une menace mortelle sur la monnaie unique. Mais c’est à l’Allemagne que la Commission réserve ses foudres et c’est la France qu’elle conforte dans sa stratégie de refus des réformes et de report de ses déséquilibres sur ses partenaires en vertu du slogan « l’Allemagne paiera ! ».
José Manuel Barroso rejoint François Hollande dans son déni et son incompréhension de la gravité de la situation qu’affrontent la France et l’Europe. La crise de la zone euro est ancrée dans la divergence entre les niveaux de compétitivité. A court terme, il est bien vrai que l’Allemagne doit continuer à faire de la reflation tandis que les pays du Sud s’ajustent. Il est bien vrai que la politique monétaire de la BCE doit soutenir l’activité et l’emploi par la baisse des taux et de la parité de l’euro. Mais cela n’a de sens que si les pays en déficit effectuent les réformes qui rétablissent leur compétitivité. Or la Commission vient de délivrer un blanc-seing à François Hollande pour continuer à faire le contraire.
Robert Schuman, dans Pour l’Europe, publié en 1963, donnait comme mot d’ordre à la construction communautaire « L’égoïsme ne paie plus ». La Commission européenne sacrifie l’intérêt et l’esprit européens dont elle a théoriquement la charge pour flatter l’égoïsme des États les plus irresponsables. Il est grand temps de mettre hors d’état de nuire M. Barroso et sa triste suite.
(Chronique parue dans Le Point du 21 novembre 2013)