La France ferait bien de s’inspirer des leçons de la tragédie grecque qui se joue actuellement.
La Grèce fut le détonateur de la crise des risques souverains et de la zone euro. Sur le plan financier, elle a inauguré la spirale de déstabilisation des comptes publics et des bilans bancaires. Sur le plan économique, elle connaît la sixième année d’une récession qui a amputé son PIB de 25 % et provoqué l’envolée du chômage jusqu’à 27 % de la population active. Sur le plan politique, elle a expérimenté la démission forcée de Georges Papandréou et son remplacement par le gouvernement technocratique de Lucas Papademos, en novembre 2011, sous la pression croisée des marchés financiers et de l’Union européenne, puis la fragilisation des institutions démocratiques face à la montée de l’extrême gauche, avec la percée de Syriza aux élections de mai 2012, et de l’extrême droite – 11,5 % de l’opinion soutenant le mouvement néonazi Aube dorée. La Grèce joue ainsi le rôle de baromètre et de laboratoire des crises de l’euro. Voilà pourquoi il est intéressant de s’interroger sur sa situation et sur les enseignements qui s’en dégagent.
Le constat s’impose : la Grèce est en voie de stabilisation. Si l’économie reste en récession, l’activité redémarre progressivement et va bénéficier d’une année touristique record en raison de la baisse des prix jusqu’à 40 % et des troubles au Maghreb, en Turquie et en Égypte : 17 millions de visiteurs vont dépenser plus de 11 milliards d’euros. Les premières créations d’emplois sont enregistrées et une sortie de la récession peut être envisagée dans le courant de 2014. Les progrès de la compétitivité grâce à la diminution du coût du travail ont permis de réduire le déficit courant de 15 à 2 % du PIB depuis 2009, tandis que l’équilibre primaire – hors service de la dette – devrait être atteint à la fin 2013. Le retour de la confiance a entraîné le rapatriement de plus de 15 milliards d’euros dans les banques. Les réformes se poursuivent, notamment dans la fonction publique, en dépit de la très courte majorité dont dispose la coalition. Enfin, la démocratie et le corps social résistent pour l’heure : malgré l’extrême lassitude de la population face à la violence de l’ajustement, grèves et manifestations demeurent sous contrôle.
Pour autant, la Grèce est très loin d’être sortie de crise. La perte du quart du produit national pèsera durablement sur la croissance. Le chômage va continuer à augmenter en 2014 pour toucher 28 % de la population active et 60 % des jeunes, massivement contraints à l’exil. Les recettes publiques sont amputées par la récession et par l’importance de l’économie clandestine, qui représente jusqu’à 40 % du PIB. La réforme fiscale et le programme de privatisation patinent. Au terme des plans d’aide les plus coûteux et les plus inefficaces de l’histoire du capitalisme qui ont mobilisé 355 milliards d’euros, la dette publique s’élève à 175 % du PIB, ce qui est insoutenable et rend inéluctable une nouvelle restructuration. Enfin, la situation politique est extrêmement instable et place la coalition à la merci d’un incident intérieur comme de ses créanciers extérieurs.
La tragédie grecque est riche d’enseignements. Contrairement aux illusions entretenues par les partisans de la croissance par la dette publique, elle a rappelé que les États pouvaient faire faillite, y compris au sein du monde développé et de la zone euro. Après l’implosion de l’Argentine au début des années 2000, elle a montré que les enchaînements déflationnistes qui furent à l’origine de la grande dépression des années 1930 demeurent possibles au XXIe siècle, avec un effet de ciseaux meurtrier liant l’effondrement de l’activité et l’explosion du chômage qui a ramené Athènes au rang de pays émergent. Dans le même temps, la crise grecque a prouvé que l’ajustement réel des économies peut être conduit au Nord, y compris dans les pays les plus corporatistes, que les peuples d’Europe peuvent accepter des sacrifices impressionnants pour sauver la monnaie unique, que la démocratie peut montrer une remarquable résilience face aux chocs de l’histoire.
Quatre leçons émergent de la faillite, de l’ajustement et de la difficile stabilisation de la Grèce.
- L’endurance des peuples et la stabilité des démocraties n’étant pas illimitées, il est impératif que la Grèce renoue avec la croissance au cours de l’année 2014, ce qui invite à ce que les créanciers publics acceptent un réaménagement partiel de la dette existante.
- Le FMI a pointé à juste titre les trois erreurs cardinales conduites dans l’ajustement grec qui ne doivent pas être renouvelées pour les autres pays européens en difficulté, notamment Chypre ou le Portugal : erreur de diagnostic consistant à traiter en crise de liquidité une situation d’insolvabilité ; erreur de tempo avec un retard de plus de deux ans dans la restructuration ; erreur de traitement avec une austérité budgétaire radicale qui installe la déflation et une insuffisante attention portée à la compétitivité.
- L’Europe doit réviser sa stratégie économique en associant une politique monétaire expansionniste acceptant les achats non stérilisés de titres de dette publique, l’étalement dans le temps du rééquilibrage des finances publiques, l’accélération des réformes structurelles, le soutien à l’emploi des jeunes, à l’investissement et à l’innovation.
- La politique économique de la France, qui demeure fondée sur la répression du secteur privé et le déclin de la profitabilité des entreprises, est suicidaire. À court terme, la crise de la périphérie de la zone euro crée une rente de situation qui sanctuarise, avec une dette publique financée à bas taux, un modèle économique et social insoutenable. À long terme, la France court à la faillite sous le poids de son double déficit : déficit commercial avec une économie prise en étau entre la compétitivité qualité de l’Europe du Nord et la compétitivité prix d’une Europe du Sud réformée ; déficit public avec la course folle des impôts qui alimentent la récession et des dépenses improductives qui nourrissent la dette.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 juillet 2013)