Le chômage est l’une des clés du déclin français. Mais des solutions neuves existent.
Loin de s’inverser, la courbe du chômage s’envole en France. Le record historique de 1997 est dépassé avec 3,225 millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi et 5,348 millions de chômeurs toutes catégories confondues, soit près de 20 % de la population active. La nature structurelle du chômage se renforce parallèlement puisque l’on compte 40 % de chômeurs de longue durée, dont 500 000 sans emploi depuis plus de trois ans. L’explosion du chômage a pour corollaire l’effondrement de l’emploi marchand, marqué par une diminution de 16,4 à moins de 16 millions de postes de travail depuis 2008.La France n’a certes pas le monopole du chômage, qui s’affirme de plus en plus comme un mal européen. L’Union européenne compte plus de 26 millions de chômeurs et la zone euro 19,2 millions. Le chômage de masse qui dévaste l’Europe contraste avec l’amélioration du marché du travail américain, qui a recréé plus de 2,5 millions d’emplois depuis 2010, permettant de réduire le taux de chômage à 7,5 %. Plus encore que la croissance, le chômage est le moteur de la divergence entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud qui menace la survie de la monnaie unique. D’un côté, l’Allemagne qui dispose de 42 millions d’emplois connaît une pénurie de travail (taux de chômage de 5,3 %) et accueille 500 000 jeunes Européens du Sud, mais aussi l’Autriche et les Pays-Bas qui ont renoué avec le plein-emploi (taux de chômage de 4,9 % et 6 %). À l’autre extrême, la Grèce et l’Espagne affichant un taux de chômage de 27 % et de plus de 50 % pour les jeunes qui n’ont d’autre recours que l’exil.
La situation intermédiaire de notre pays est trompeuse et masque une exception française du chômage permanent. D’abord la France est le seul des grands pays développés à n’avoir jamais rétabli l’équilibre de son marché du travail depuis les chocs pétroliers des années 1970 et à avoir laissé s’installer depuis trois décennies un chômage structurel touchant près de 10 % de la population active. Ensuite, ce chômage structurel découle de la segmentation du marché du travail qui accorde une protection maximale à un noyau dur de la population active – notamment aux 5,2 millions de fonctionnaires – tout en rejetant toute la flexibilité et les risques sur les précaires, les jeunes et les immigrés. Enfin parce que la France est le seul des pays développés où les coûts unitaires du travail continuent à augmenter pour une productivité stagnante (34 euros par heure contre 30 en Allemagne, 26 en Italie, 20 en Espagne) et où le marché du travail n’a fait l’objet d’aucune réforme fondamentale.
Le chômage constitue, comme dans les années 1930, l’une des clés du déclin français. Il conforte la spirale de la déflation. Il provoque la paupérisation de la population, dont la richesse par habitant a décroché de 15 % par rapport à la moyenne des pays développés. Il est le moteur de l’exclusion et du déclassement social. Il nourrit les populismes et les extrémismes.
Pour toutes ces raisons, la lutte contre le chômage devrait constituer la priorité absolue de la politique économique. Or c’est tout l’inverse. Depuis plus d’un quart de siècle, a été érigée et défendue une préférence nationale pour le chômage autour de quatre principes. L’extinction parallèle de la croissance et du secteur marchand qui se traduit aujourd’hui par la destruction de 150 000 emplois par an. La réponse keynésienne à travers la hausse continue de la dépense et de la dette publiques à un chômage classique dont la première origine se trouve dans le coût et la réglementation du travail. La priorité accordée au traitement social du chômage, via la constitution d’un stock de 500 000 emplois aidés, au détriment de la réforme économique du marché du travail. La dégradation spectaculaire du système éducatif qui rejette chaque année 161 000 jeunes sans aucune formation, alimentant une masse de 1,9 million d’exclus de moins de 25 ans, hors de toute forme d’activité et d’enseignement.
Il est grand temps de sortir du déni qui entoure la menace majeure que le chômage fait peser sur l’économie, le lien social et la démocratie. Le chômage de masse ne relève nullement de la fatalité mais résulte des choix malthusiens effectués depuis trente ans.
Tout a été essayé de ce qui était voué à l’échec. Essayons donc des solutions neuves. Élevons la lutte contre le chômage en grande cause nationale :
- Le cœur du chômage français est classique, lié à l’insuffisance de l’offre compétitive et au coût du travail. D’où la reconstitution des marges des entreprises à travers la baisse des charges pesant sur le travail (43,75 % en France contre 21,03 % en Allemagne) et la normalisation de la fiscalité confiscatoire mise en place depuis 2010. D’où l’indispensable choc de compétitivité commun au secteur public et privé à travers la sortie des 35 heures qui doit être couplée à la libéralisation du marché du travail afin de permettre la création effective des 2,3 millions bloqués par le coût excessif du travail peu qualifié. D’où la restructuration des dépenses sociales qui représentent 33 % du PIB et leur réorientation vers l’investissement et l’innovation.
- La zone euro est menacée d’une spirale déflationniste qui risque d’instaurer durablement un équilibre de sous-emploi keynésien ce qui doit être évité à tout prix. L’étalement dans le temps du retour à l’équilibre des finances publiques en contrepartie de l’accélération des réformes structurelles représente un premier pas positif. Il devrait être prolongé par un soutien à la croissance dans les pays d’Europe du Nord et par la relance de l’intégration du grand marché européen.
- Le chômage technologique entraîne la perte de 2,2 millions d’emplois faute de qualifications adaptées. La solution est à chercher dans la réforme de l’éducation nationale ainsi que la reconversion du budget de 1,5 milliard affecté aux emplois d’avenir en faveur de l’apprentissage, de l’alternance et des programmes de deuxième chance pour les jeunes sans formation.
La France s’est condamnée au chômage de masse pour avoir cédé aux illusions de la fin du travail. Elle doit désormais se mobiliser autour de la fin du chômage qui passe par la préférence pour le travail.
Le chômage de masse ne relève nullement de la fatalité mais résulte des choix malthusiens effectués depuis trente ans.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 mai 2013)