Les marchés financiers offrent à l’Europe un léger répit. Charge aux pays de l’Union d’en profiter pour agir.
La grande divergence de la mondialisation s’accentue. Sous la stabilisation de la croissance planétaire autour de 3,5 %, pointent deux grands écarts. Écart entre les pays émergents qui progressent de 6 % (8 % pour la Chine, 5,5 % pour l’Inde, 2,5 % pour la Russie, 2 % pour le Brésil) – portés par leur nouvelle classe moyenne forte de 1 milliard d’hommes – et l’activité molle des pays développés (1 %), freinée par le chômage de masse ainsi que par le surendettement public et privé qui atteint 280 % du PIB. Écart entre la solide reprise américaine (2,2 % en dépit de l’effet récessif de 1,2 % des coupes budgétaires) et le basculement de la zone euro dans la récession (- 0,4 % après – 0,5 % en 2012).La transformation par Mario Draghi de la BCE en prêteur en dernier ressort, associée au recours généralisé aux stratégies de quantitative easing -notamment par le Japon de Shinzo Abe-, a fortement réduit les risques d’éclatement de la monnaie unique et conduit à une détente des conditions de financement des États. Pour autant, les problèmes structurels de la zone euro restent entiers.
Problème économique avec l’enfermement dans la récession. Problème social avec la montée du chômage qui touche 20 millions de personnes et jusqu’à 26 et 27 % de la population active en Espagne ou en Grèce. Problème bancaire avec la désintégration des institutions financières en Europe du Sud. Problème financier avec la fragmentation de la zone monétaire, la renationalisation du crédit et la naissance d’un euro dual du fait du contrôle des changes imposé à Chypre. Problème politique avec la révolte des peuples du Sud contre l’austérité – qui débouche sur l’ingouvernabilité de l’Italie, la déstabilisation de l’Espagne et la paralysie de la France -, la révolte des peuples du Nord contre une solidarité illimitée et incontrôlée – avec pour dernier avatar la création la création en Allemagne d’un parti anti-euro, l’AfD -, le discrédit des institutions européennes – illustré par la gestion calamiteuse de la crise de Chypre qui a remis en question la garantie sur les dépôts bancaires et l’embryon d’union bancaire.
Quatre constats s’imposent :
- Le déficit public consolidé de la zone euro a diminué de 6,4 à 3,7 % du PIB depuis 2009 et l’ajustement des pays en défaut ou en risque progresse, à la notable exception de la France, avec le retour de l’Irlande sur les marchés, le rétablissement de la balance courante espagnole, l’excédent primaire et le surplus de la balance commerciale italienne.
- La zone euro s’installe dans une déflation comparable à celle qui a miné l’économie du Japon pendant deux décennies, marquée par une spirale à la baisse de l’activité et des revenus, de l’investissement et de l’emploi.
- L’explosion du chômage n’est pas seulement une catastrophe économique mais une menace pour la démocratie et pour la stabilité du continent, compte tenu de l’emballement du nationalisme et des populismes.
- Le surendettement n’est pas soutenable mais il ne peut être résorbé sans croissance et sans une dose d’inflation – sauf à se conclure par un défaut généralisé.
Loin de se laisser abuser par une fausse quiétude, il faut mettre à profit le répit miraculeux offert par les marchés pour relancer la croissance dans la zone euro. Et ce autour de six actions prioritaires. La coordination étroite des politiques économiques en couplant la poursuite de l’ajustement dans le sud avec une stratégie de reflation au nord à travers la hausse des revenus et des prix. L’étalement dans le temps du retour à l’équilibre budgétaire et sa mesure en termes de déficit structurel plutôt que nominal, en contrepartie de l’accélération des réformes visant à améliorer l’efficacité du capital, le fonctionnement marché du travail, l’investissement et l’innovation. La mobilisation des fonds européens pour lutter contre le chômage des jeunes. La poursuite de la réorientation de la stratégie de la BCE avec la baisse des taux, la baisse de l’euro à l’exemple de la nouvelle politique de la Banque du Japon à l’égard du yen, le recours assumé au quantitative easing à travers l’achat non stérilisé de titres privés. La restructuration et la recapitalisation des banques, à commencer par celles de l’Espagne et de l’Italie ainsi que l’abandon des projets de taxe Tobin qui achèveront d’effondrer le crédit sur le continent. La relance du grand marché pour profiter pleinement de la demande potentielle de 500 millions de consommateurs.
Les prémices de cette nouvelle donne européenne sont déjà présentes. L’Allemagne a donné son accord au changement de stratégie de la BCE. Six pays ont demandé et obtiendront des délais pour ramener leur déficit public à 3 % du PIB. Il reste à adosser ce nouveau cours à la relance du couple franco-allemand et à l’inscrire dans un projet politique qui permette de rétablir la confiance des citoyens dans l’euro et dans l’intégration européenne qui reste la condition ultime de sa survie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 avril 2013)