Tout nous annonce une croissance zéro jusqu’en 2017. Mais dans le naufrage il y a une chance à saisir.
François Hollande gagnerait à méditer la recommandation de Göran Persson, le Premier ministre social-démocrate qui révolutionna avec succès le modèle suédois après le krach des années 90, selon laquelle « il ne faut jamais laisser perdre la chance d’une grande crise ». Au lieu de s’enferrer dans un déni suicidaire de la crise, il devrait s’en servir auprès des Français.
Plus François Hollande prétend que la crise est derrière nous, plus il court le risque de voir son mandat interrompu par une attaque des marchés ou la révolte qui monte.
Car la crise reste devant nous. Et durablement. Crise économique, avec la récession en 2013, mais surtout la perspective d’une croissance zéro jusqu’en 2017 compte tenu de la rupture de la production, de l’investissement, de l’emploi et de la consommation provoquée par la hausse des impôts à hauteur de 3 % du PIB depuis 2010. Crise sociale, avec la trappe infernale du chômage structurel et de la paupérisation liée à la baisse des revenus et du patrimoine des Français. Crise politique, avec la défiance envers l’ensemble de la classe politique qui nourrit le populisme. Crise européenne avec le divorce franco-allemand et le naufrage annoncé de la zone euro dans la déflation. Crise morale née du contraste entre le déclassement de la France et des Français, d’une part, l’impuissance du politique, d’autre part.
Le constat d’échec de la politique conduite par Français Hollande est sans appel. Le choc fiscal associé à la stigmatisation de l’entreprise et à une rhétorique de lutte des classes a transformé la croissance molle en récession, coupé les entreprises de leur financement, bloqué les embauches, interdit le redressement du double déficit de la balance commerciale et des comptes publics. Il place la France à la merci d’un choc sur sa dette publique, qui atteindra 95 % du PIB à fin 2014, choc qui déstabiliserait la zone euro et entraînerait son éclatement.
Loin d’être illégitime, le débat sur le changement de politique économique est nécessaire et doit être tranché. Moins d’un an après son élection, François Hollande se trouve confronté au même dilemme que François Mitterrand en 1983. La relance keynésienne et les nationalisations décidées en 1981 s’étaient alors traduites par une explosion du déficit commercial (2,1 % du PIB) et du déficit public, avec à la clé une fuite massive des capitaux et trois dévaluations. Face aux tenants du protectionnisme et de la sortie du système monétaire européen et sous la menace d’une intervention du FMI, François Mitterrand engagea sans l’assumer le tournant de la rigueur, prolongé par la libéralisation de l’économie mise en œuvre entre 1984 et 1986 sous la houlette de Laurent Fabius et Pierre Bérégovoy. Trente ans après, la situation de la France est autrement critique. L’appareil de production s’est effondré. Le chômage de masse a laminé le lien social et dissous la citoyenneté. L’euro interdit le recours à l’inflation et à la dévaluation. La dette publique a ruiné la souveraineté nationale et marginalisé la France en Europe. Mais le débat se pose dans des termes presque identiques à ceux du début des années 80.
Les partisans de la prétendue politique alternative – Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Cécile Duflot – proposent d’amplifier tout ce qui a échoué : la hausse des impôts qui a relancé la récession, la redistribution qui a sapé la production, l’envolée des coûts du travail qui a miné la compétitivité et installé le chômage permanent, la préférence pour la dépense publique qui a étouffé l’État et l’a surendetté. Leur seul apport réside dans le protectionnisme et la sortie de l’euro, qui relègueraient définitivement la France hors des puissances économiques de premier rang et ruineraient soixante ans d’intégration européenne.
François Hollande doit assumer le choc de vérité qui va de pair avec le tournant de la compétitivité. Une autre politique est non seulement possible mais indispensable. Elle passe par la priorité absolue accordée à la croissance et à l’emploi. D’un côté, la reconstitution de l’offre productive via l’amélioration des marges des entreprises, le démantèlement de la fiscalité d’exception, la baisse des dépenses publiques de 100 milliards en cinq ans. De l’autre, la libération du travail grâce à un choc de compétitivité réalisé par la sortie des 35 heures, la baisse des charges et la déréglementation. Au plan européen, une union politique avec l’Allemagne sanctuarisant l’euro, associée à une nouvelle stratégie liant l’étalement dans le temps de l’ajustement budgétaire à l’accélération des réformes structurelles.
La crise vient paradoxalement donner une assise politique à cette stratégie. François Hollande n’a plus ni Premier ministre, ni gouvernement, ni majorité, ni parti, ni même opposition. Il ne lui reste que ce qui peut être décisif : les Français. S’il continue à flatter ce qu’il y a de pire en eux, le ressentiment et les passions populistes, il sera balayé. Deux diversions et quelques boucs émissaires – des élus aux banques – n’ont jamais aidé une nation à se redresser. S’il fait en revanche appel à ce qu’il y a de meilleur chez les Français, le bon sens, la réactivité et l’inventivité, il peut lancer la modernisation de la France et sauver sa présidence. À l’image de Gerhard Schröder, qui, après un premier mandat purement opportuniste, s’imposa comme le chancelier du miracle allemand avec l’Agenda 2010.
Barack Obama a placé son second mandat sous le mot d’ordre suivant : « Nous avons une opportunité exceptionnelle de changer notre pays en ce moment précis. » François Hollande doit saisir, en cet instant décisif, la chance historique de réformer la France.
(Chronique parue dans Le Point du 18 avril 2013)