En quelques mois, François Hollande a inauguré une « hypoprésidence » cornaquée par une idéologie.
Le propre des crises consiste à mûrir plus longtemps qu’on ne pense pour se dénouer plus rapidement qu’on ne s’y attend. Ainsi en va-t-il du déclin économique de la France, qui s’est accéléré depuis l’élection de François Hollande pour devenir absolu avec le cumul de la récession, de l’explosion du chômage, de la baisse du pouvoir d’achat et de la richesse des Français. Il se double désormais d’une crise politique qui s’enflamme, depuis qu’il s’avère que le candidat qui promettait de faire la guerre à la finance avait un trésorier de campagne qui opérait depuis les îles Caïmans, depuis qu’il est prouvé que la cheville ouvrière du choc fiscal qui fait exploser les faillites et le chômage, qui contraint à l’exil des milliers de nos concitoyens est un fraudeur abonné de longue date aux paradis fiscaux.
La France vient de basculer dans une crise de régime qui cumule la menace sur la cohésion nationale, la délégitimation des dirigeants politiques et le blocage des institutions.
À défaut de menace extérieure directe comme dans les années 30 ou au temps de la guerre froide, la France est au bord du chaos intérieur. Elle est entrée dans une spirale de déflation et de paupérisation où le rétrécissement de l’activité, de l’emploi et des revenus sert de contrepoint à la hausse des impôts, du chômage et de la dette. La rhétorique de lutte des classes et de guerre civile froide exacerbe les tentations de recourir à la violence. L’explosion d’une délinquance sortie de tout contrôle et bénéficiant d’une quasi-impunité -notamment à Marseille et en Corse- sape l’État de droit. La France se trouve marginalisée et ne compte plus en Europe, comme il a été montré lors des négociations sur le budget de l’Union ou le sauvetage de Chypre. Elle est devenue un objet de rire et de mépris dans le monde, à la notable exception de l’intervention au Mali dont le remarquable succès militaire reste à la merci d’une sortie de crise politique introuvable.
François Hollande a hérité en mai 2012 d’une France en dépression ; il l’a ravalée au rang de France défaite. Le désordre est partout et la République nulle. Tout ce qui devait être consolidé car constituant les ultimes valeurs ou points d’arrêt face à la crise a été déstabilisé, de la famille au couple franco-allemand. Tout ce qui devait être réformé d’urgence a été sanctuarisé, du modèle de la croissance à crédit à la préférence pour l’impôt et le chômage.
Le petit bricoleur du marché de Tulle se révèle tétanisé par des événements qui le dépassent. Sa boîte à outils se réduit à un anti-sarkozysme obsessionnel et à un optimisme déconnecté du réel qui, en guise de stratégie de redressement, s’en remet au principe selon lequel, comme tout va de mal en pis, cela ne peut que s’améliorer.
Prisonnier de la bulle démagogique dans laquelle il s’est enfermé à l’Elysée, François Hollande cultive le déni des deux trains qui foncent sur lui. Le train de la crise économique, sociale et financière, avec à son bord les marchés financiers, les partenaires européens et le FMI. Le train de la crise politique où se côtoient la lutte finale engagée par l’extrême gauche – forte de ses relais dans les médias, l’administration et les syndicats – contre une social-démocratie agonisante car figée dans les schémas hors d’âge des années 70 que l’Europe du Nord a abandonnés depuis vingt ans, un Parti socialiste en voie de désintégration qui s’apprête à voir nombre de ses militants mis au chômage par la perte programmée des élections locales, une poussée populiste qui se nourrit de la double faiblesse du président et de l’opposition. Or les peuples et les marchés financiers ont un point commun : une fois lancés, on ne les arrête plus.
Dans la Ve République, régime conçu pour l’action et la gestion des crises, tout découle du président de la République. François Hollande l’a transformée en une machine infernale au service d’une indécision permanente. L’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy avait souligné les risques d’une concentration de tous les pouvoirs à l’Elysée, qui finit par réduire l’État à l’impuissance. L’hypoprésidence de François Hollande anéantit l’État en dissolvant les fonctions de président de la République et de chef de gouvernement. La moindre des bizarreries de la Ve République n’est pas d’instituer un exécutif à deux têtes ; désormais, elle n’en a plus aucune. Un chef se reconnaît d’abord à sa capacité à répondre de son action et de ses subordonnés. Hollande est tout sauf un chef, il ne cesse de se défausser devant ses choix et ses responsabilités comme devant les fautes de ceux qu’il a nommés. C’est dans la même logique qu’il a placé Matignon, avec Jean-Marc Ayrault, sous le signe du zéro à l’infini, quitte à en devenir la victime tant le vide ne peut servir de fusible.
L’outrage ultime à la République n’a pas été commis par Jérôme Cahuzac, mais bien par François Hollande, qui n’a cessé de tromper les Français sur ce qu’il est comme sur ce qu’il fait. Les Français attendaient un nouveau Clemenceau ; ils découvrent qu’ils ont remis leur destin entre les mains d’un hybride qui emprunte à Lebrun, à Queuille et à Jules Grévy. Un homme dont la seule trace dans l’Histoire reste pour l’heure qu’il n’aurait jamais dû accéder à la présidence de la République sans la folie combinée d’un psychopathe du sexe, Dominique Strauss-Kahn, et d’un égocentrique figé dans le déni de son impopularité, Nicolas Sarkozy. Un homme qui n’entretient qu’un rapport très distant avec la réalité, à qui l’ambition tient lieu de valeurs, qui toujours fait jurer les mots avec les choses.
Un homme qui a abusé les Français en leur expliquant que la crise était derrière eux et qui n’a cessé de tenir un double langage.
Or c’est ce même homme dont le mandat verra se dénouer la crise française soit pour aller vers la violence qui le balaiera – emportant l’euro dans sa perte -, soit pour forcer les réformes qui sont la condition du redressement. François Hollande se trouve aujourd’hui dans la situation qu’il déteste le plus : il n’a plus d’autre choix que de devoir choisir.
La première possibilité, qui correspond à son inclination naturelle, programmerait sa fin : c’est le choix par défaut de ne rien faire, avec l’espoir que tout finira par s’arranger, ou de faire la même chose sous une autre forme en nommant un nouveau Premier ministre zombie. C’est la politique du pire parce qu’elle réduit ce quinquennat à une course de vitesse entre les marchés financiers et la rue pour savoir qui mettra à sa ceinture le scalp de la République. Mais c’est la politique qui bénéficie du soutien du système politique, qu’il s’agisse de l’opposition qui ne dispose ni d’un leader crédible, ni d’une stratégie, ni d’un projet politique de redressement du pays, ou a fortiori des partis et des forces populistes qui se nourrissent de la déliquescence de la France et de ses institutions.
La deuxième option passe par un accord avec l’extrême gauche, une accélération de la politique de demande alimentée par la dépense publique, l’abandon de toute perspective de rééquilibrage des finances publiques, la rupture avec l’Allemagne. Elle est indissociable d’une attaque des marchés financiers sur la dette française et d’une sortie de l’euro, voire de l’Union européenne du fait de la mise en place de mesures protectionnistes, mettant la France au ban des pays développés. Cet axe rose-vert-rouge ne reçoit certainement pas la faveur de François Hollande, mais compte des partisans sans cesse plus nombreux au sein du Parti socialiste.
La troisième solution consiste en une thérapie de choc. Non pas le choc de simplification, qui ne constitue qu’un leurre, comme il est montré par la complexité délirante de la fiscalité confiscatoire, du crédit d’impôt-compétitivité ou de l’accord pour l’emploi.
Mais un choc de vérité et de responsabilité.
François Hollande doit se libérer de son idéologie, de son système et de son parti pour devenir l’homme de la nation. Au lieu d’être le président d’un rêve qui tourne au cauchemar, il doit affronter l’Histoire. Une Histoire qui se structure autour des crises de la mondialisation, de l’euro, du modèle économique et social français. Au lieu de s’enfermer dans le déni qui fut fatal à Nicolas Sarkozy, il doit livrer aux Français la vérité sur la situation de leur pays, faire la lumière sur ses erreurs et ses fautes, rompre avec l’ambiguïté pour tracer une ligne politique nette et arrêter une stratégie claire.
L’heure n’est plus à la ruse mais au courage et à la mobilisation. Où en sommes-nous ? La France est en faillite et voit disparaître son appareil productif et ses emplois. Que voulons-nous faire ? Donner une priorité absolue au traitement de la crise économique et sociale. Libérer la capacité de production pour générer la croissance, encourager le travail pour réduire le chômage et l’exclusion, démanteler la fiscalité confiscatoire sur le capital pour investir et innover. Remettre l’État en ordre de marche et rétablir la souveraineté en diminuant les dépenses publiques. Relancer le couple franco-allemand autour d’une stratégie de sortie de crise de la zone euro associant intégration politique et nouvel équilibre entre l’accélération des réformes structurelles et l’étalement de l’ajustement budgétaire dans le temps.
Quelles sont les conditions politiques à réunir ? Liquider un gouvernement pléthorique, mou et dénué de tout pilote pour constituer un gouvernement fort, resserré et dirigé d’une main de fer par un homme ou une femme d’Etat qui recevrait pour mission la modernisation du modèle économique et social français. Onze mois après son élection, François Hollande est un président en sursis, qui ne dispose ni de la maîtrise du jeu ni de la maîtrise du temps, faute d’avoir pris la mesure de la crise. Un président qui subit, car il se refuse à trancher. François Hollande est devenu chef de l’État en laissant systématiquement les circonstances et les autres décider pour lui. Il doit aujourd’hui peser sur les circonstances et forcer le destin. A défaut, il sera broyé par l’Histoire, qui n’est pas un yo-yo que l’on peut faire aller et venir à volonté.
(Chronique parue dans Le Point du 11 avril 2013)