Le pape François veut répondre aux exigences de la mondialisation. La lutte contre la pauvreté est l’un de ces défis.
« N’oublie pas les pauvres. » Telle fut la prière qu’adressa le cardinal de Sao Paulo, Claudio Hummes, au cardinal Jorge Mario Bergoglio juste après son élection à la papauté. Telle fut la prière qui le détermina à faire le choix inédit du nom de François pour s’inscrire dans la filiation de saint François d’Assise, l’ami des pauvres. Le premier pape de la mondialisation s’est incliné devant les fidèles pour demander la bénédiction du peuple de Rome à son évêque. Il s’est présenté comme le représentant d’une Église du grand large, engagée au bout du monde et non pas centrée autour de la curie. Il s’est défini comme un pasteur au service d’« une Église pauvre pour les pauvres ».En plaçant son pontificat sous le double signe de la mondialisation et de la pauvreté, le pape François livre non seulement aux catholiques mais à tous les hommes de notre temps une part des clés du XXIe siècle.
Jean-Paul II avait dès 1978 lancé son appel célèbre – « N’ayez pas peur » – qui fit exploser le mélange de mensonge et de terreur qui fondait l’idéologie communiste, jouant un rôle déterminant dans la chute du soviétisme. Son autorité spirituelle fut le point fixe sur lequel s’ancra le printemps des peuples d’Europe centrale et orientale. Il fut ainsi l’un des acteurs majeurs de la grande révolution de la liberté de 1989, qui dénoua la lutte à mort entre la démocratie et le totalitarisme structurant le XXe siècle.
Sous les affaires de mœurs, les scandales financiers de l’Institut pour les œuvres de la religion soupçonné de blanchiment ou le Vatileaks qui dévastèrent le pontificat de Benoît XVI et le poussèrent vers la démission pointe l’héritage intellectuel et spirituel méconnu d’un pape de temps de crise. Face à une violence revenant des religions séculières vers les religions régulières à travers le fondamentalisme, face aux ravages provoqués par l’implosion d’un capitalisme de bulles saisi par la démesure, l’invitation pressante de Benoît XVI à fuir les idoles, qu’elles prennent la forme du culte de la richesse ou de la mort, sonne parfaitement juste. Sa démission, acte d’une liberté souveraine en même temps que réforme radicale du fonctionnement de l’Église, sert de point d’orgue à une vie tout entière consacrée à la réconciliation de la foi et de la raison, question centrale pour la géopolitique du XXIe siècle et pour le désarmement des tensions qui la traversent.
François est le pape d’une Église qui se veut universelle dans une histoire elle-même devenue universelle. L’esprit-principe du XXIe siècle réside en effet dans la mondialisation, qui obéit à une dialectique de l’intégration, portée par le capitalisme et les technologies, et de la fragmentation, adossée à la rivalité persistante des ambitions de puissance et à l’hétérogénéité des valeurs, des institutions et des mœurs. Une mondialisation qui marque une triple révolution. Historique, avec la fin du monopole que l’Occident s’était arrogé sur les affaires du monde depuis le XVIe siècle. Politique, avec le passage à un monde multipolaire affranchi des clivages Est-Ouest ou Nord-Sud. Économique, avec le décollage des pays émergents, qui représentent 52 % de la production industrielle et 48 % des exportations mondiales, tout en détenant plus de 80 % des réserves de change et 32 % de la capitalisation boursière de la planète.
Dans ce contexte, le problème de la pauvreté sur une planète qui s’apprête à compter plus de 9,5 milliards d’hommes en 2050 reste central mais se pose dans des termes neufs. La mondialisation a réussi ce que le tiers-mondisme avait rêvé et systématiquement échoué à réaliser, en cassant la trappe du sous-développement et de la pauvreté et en permettant l’accession à la classe moyenne de plus d’un milliard d’hommes dans les pays émergents. Cette nouvelle classe moyenne, qui comptera entre 2,5 et 3 milliards d’hommes en 2030, est jeune, urbaine, autonome, mobile et avide de technologies. Dans le même temps, le modèle de croissance à crédit puis le choc déflationniste qui a brutalement dégonflé les bulles spéculatives du capitalisme dérégulé à compter de 2007 ont profondément déstabilisé les classes moyennes traditionnelles – touchées dans leur emploi et leurs revenus, leur patrimoine et leurs espoirs d’ascension sociale – tout en faisant réapparaître une grande pauvreté au cœur du monde développé. Sur ce terreau prospèrent les extrémismes et les populismes qui menacent la démocratie.
La mondialisation se trouve en attente d’une nouvelle donne où la lutte contre la pauvreté doit occuper un rôle central. Nul ne doit oublier qu’elle constitue un progrès moral, historique et économique remarquable par sa capacité à diffuser la croissance et le développement, qui sont les meilleures armes contre la pauvreté et pour la dignité des hommes. Elle doit donc être protégée contre les tentations nationalistes ou protectionnistes qui cherchent à la briser.
Le capitalisme mondialisé peut et doit s’affirmer comme le capitalisme pour tous à travers la lutte contre la pauvreté. En s’inspirant du principe que Benoît XVI plaça au cœur de sa lettre encyclique Caritas in veritate : « L’homme, la personne, dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser. »
(Chronique parue dans Le Figaro du 1er avril 2013)