Les leçons pour la France de quinze mois de gouvernement Monti.
L’Italie fut souvent un laboratoire politique. Pour le pire avec le fascisme de Mussolini, les attentats meurtriers des Brigades rouges ou la télécratie de Silvio Berlusconi. Pour le meilleur avec Mario Monti, qui a sauvé en novembre 2011 le 150e anniversaire de l’unité italienne en restaurant la crédibilité de son pays – ruinée par la crise financière et le discrédit de Silvio Berlusconi -, puis joué, aux côtés d’Angela Merkel et de Mario Draghi, un rôle décisif dans la stabilisation de la zone euro en 2012.
Voilà pourquoi les élections législatives des 24 et 25 février 2013 se sont transformées en référendum sur Mario Monti, les réformes et l’euro. Voilà pourquoi elles constituaient un test décisif pour la crédibilité économique et l’acceptabilité politique des stratégies d’ajustement mises en place afin d’endiguer la crise financière des pays d’Europe du Sud et de sauver l’euro. Or force est de constater que ce test a spectaculairement échoué.
La confrontation emblématique entre Pier Luigi Bersani, le politicien modéré, Mario Monti, le réformateur, Silvio Berlusconi, le démagogue, Beppe Grillo, l’amuseur populiste fustigeant les élites et appelant à la sortie de l’euro, a tourné à l’avantage des deux derniers. Les effets de la crise, l’exaspération devant l’austérité, le déficit d’explication des réformes ont laissé le champ libre à la démagogie et aux passions collectives. Au lendemain de l’élection, l’Italie retourne à la case départ en se découvrant ingouvernable, éclatée entre une chambre des députés contrôlée par la coalition de gauche et le droit de veto de la droite au Sénat. Un Italien sur deux a voté contre les réformes, l’euro et Merkel.
La défaite sans appel de Mario Monti paraît aussi injuste que paradoxale. En quinze mois, grâce au plus remarquable programme de réformes depuis l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, l’Italie a cessé d’être l’enfant malade de l’Europe. La compétitivité de la seconde industrie de la zone euro a été redressée avec des positions très fortes dans la machine-outil et la mécanique, le luxe et l’habillement, l’ameublement et la décoration, l’agroalimentaire et les vins. Le marché du travail et le secteur des services ont été libéralisés. Les privatisations ont été relancées. L’État-providence a été restructuré (retraite à 66 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes, réorganisation du système de santé, réorientation de l’indemnisation du chômage vers la recherche d’emploi). L’université a été modernisée.
Ces réformes sans précédent ont obtenu de premiers résultats tangibles. Au-delà de l’excédent budgétaire primaire, le déficit public structurel a été ramené à 0,5 % du PIB. Le commerce extérieur a dégagé un excédent commercial de 11 milliards d’euros contre un déficit de 25,5 milliards en 2011. Les taux d’intérêt ont baissé de plus de 2 points, traduisant la restauration de la confiance des investisseurs, tandis que l’Italie redevenait un interlocuteur fiable pour ses partenaires européens.
Cependant, les séquelles du choc fiscal de 63 milliards d’euros sur trois ans sont lourdes. L’activité a chuté de 2,2 % en 2012, portant à 7,5 % le recul du PIB depuis 2008 et ramenant le revenu par habitant à son niveau de 1998. Les faillites ont explosé pour toucher 104 000 entreprises, en même temps que le chômage (11,2 % de la population active et 36 % des jeunes). La dette publique culmine à 127 % du PIB. Et les réformes sont très loin d’avoir résolu tous les handicaps structurels de l’Italie : une démographie exsangue ; une productivité minée par la taille insuffisante des entreprises, la faiblesse de la concurrence, de la recherche et de l’innovation ; une société de castes et de rentes ; un État faible et corrompu ; une nation éclatée.
À la déstabilisation de la société et des classes moyennes par la crise s’est ajoutée la cascade de scandales du Monte dei Paschi di Siena, de Finmeccanica et de Saipem qui a déchaîné les passions populistes.
Les conséquences du scrutin dépassent de beaucoup l’Italie. Elle pourra peut-être bénéficier d’un sursis et éviter une nouvelle sanction des marchés du fait du dynamisme de son industrie, de la richesse de son patrimoine, qui représente 6 fois son revenu national et 5 fois sa dette publique, de l’acquis des réformes réalisées par Monti. En revanche trois grands perdants porteront durablement les stigmates de ce scrutin. Mario Monti, qui a compromis sa légitimité et ses chances d’accéder à la présidence de la République pour sanctuariser ses réformes. Angela Merkel qui est devenue la cible de la révolte des peuples de l’Europe du Sud contre l’austérité comme celle du ressentiment des peuples d’Europe du Nord contre une solidarité illimitée et incontrôlée. La zone euro, dont la crise est relancée par l’effondrement du symbole des réformes en Europe du Sud.
Deux leçons émergent des élections italiennes. La première, à destination de Hollande, souligne la fragilité des réformes entreprises sous la contrainte des marchés et de l’Europe sans soutien clair de la classe politique. La seconde, à destination de la zone euro, souligne, d’un côté, la nécessité de balancer l’austérité par une politique de croissance fondée sur la baisse de l’euro et le soutien de la demande en Europe du Nord et, de l’autre, le risque d’un malentendu tragique qui verrait l’assouplissement de la politique monétaire mis à profit par les électeurs et les dirigeants des pays déficitaires pour relâcher, voire interrompre le redressement de leur compétitivité et de leurs comptes publics.
(Chronique parue dans Le Point du 28 février 2013)