La politique économique de Dilma Rousseff demeure confuse, alimentant les incertitudes.
Le Brésil, sixième économie mondiale, est encalminé et le miracle menace de tourner au désenchantement. La croissance a chuté à 1 % en 2012, après 2,7 % en 2011, contre 4,5 % entre 2005 et 2010. Ce brutal ralentissement résulte pour l’essentiel de la stagnation de l’investissement, qui plafonne à 19 % du PIB, contre 27 % au Chili et en Colombie. À l’inverse, l’inflation résiste pour s’établir à 5 % et les défauts bancaires explosent.
Autant que du ralentissement de la croissance mondiale revenue autour de 2,5 %, l’atterrissage brutal du Brésil résulte d’une crise de confiance qui souligne les fragilités de son modèle de développement.
Le décollage des années 2000 a reposé sur deux moteurs : l’expansion du marché intérieur et les exportations de produits agricoles et de matières premières. Toutes deux patinent. La demande intérieure a été stimulée par la hausse des salaires et des aides sociales, qui compromettent désormais la compétitivité et l’équilibre budgétaire, ainsi que par l’expansion du crédit, qui s’est transformée en bulle financière. De très fortes inégalités subsistent par ailleurs qui handicapent le développement, puisque 1 % de la population perçoit 45 % des revenus, tandis que 11 millions de personnes ne disposent pas d’un logement décent. Dans le même temps, les exportations, constituées à 95 % de ressources agricoles et de matières premières et concentrées vers la Chine, premier partenaire commercial depuis 2009, sont frappées de plein fouet par la fin des Trente Glorieuses de Pékin.
Face à ces défis, la politique économique de Dilma Rousseff demeure confuse, alimentant les incertitudes. La politique monétaire a été assouplie avec une forte baisse des taux d’intérêt liée à l’abandon du ciblage de l’inflation, qui a relancé la hausse des prix sans relancer la croissance. Surtout s’est installé un néopéronisme qui bloque les réformes et bride le développement. Les subventions en faveur de la consommation de carburants ou d’électricité gonflent les dépenses publiques stériles. L’indispensable plan d’investissement de 70 milliards de dollars dans les infrastructures et les transports, dont les déficiences atteignent un niveau critique, est associé à une étatisation de l’économie. La multiplication des mesures protectionnismes et la dévaluation agressive du real minent le Mercosur et entretiennent un climat de guerre monétaire qui freine l’insertion du Brésil dans la mondialisation.
Le Brésil conserve de formidables atouts : une démographie dynamique, une classe moyenne de 105 millions de personnes, d’immenses ressources – des terres arables à l’eau en passant par le pétrole et les énergies renouvelables -, une dette publique limitée à 35 % du PIB et des réserves de change s’élevant à 380 milliards de dollars, des entrepreneurs créatifs, une démocratie vivante. Mais leur valorisation, au-delà du boom des matières premières des années 2000, passe par un changement de mode de développement, qui implique en amont la restructuration d’une administration surdimensionnée générant une corruption endémique, ainsi que le renforcement d’un État de droit encore vacillant.
Le Brésil est très représentatif des pays émergents. Ils ont vocation à structurer la mondialisation car ils possèdent les ressorts de la croissance du XXIe siècle : les nouvelles classes moyennes, l’économie de la connaissance, les technologies vertes. Mais la poursuite du développement implique des changements profonds pour dynamiser la productivité, développer l’investissement privé, diversifier l’activité et augmenter la valeur ajoutée, stabiliser l’environnement juridique et fiscal, relancer l’intégration régionale. Le président Cardoso a cassé l’inflation et assuré la stabilité. Lula a libéré la croissance et inscrit le Brésil dans la mondialisation. Si elle souhaite prolonger cette lignée, Dilma Rousseff doit moderniser le modèle brésilien en redéfinissant les missions et le périmètre de l’État, en créant un environnement plus favorable à l’investissement privé, en renforçant le Mercosur et l’ouverture internationale.
(Chronique parue dans Le Point du 20 décembre 2012)