Contrairement à l’Europe, les États-Unis ont réussi à échapper au piège de la double récession et sont engagés dans une reprise progressive.
Le produit intérieur américain a dépassé son niveau de 2007 depuis 2011, ce qui n’est le cas ni de l’Union européenne ni du Japon. La croissance est stabilisée autour d’un rythme annuel de 2,2 %. Le déficit de la balance courante a été divisé par deux depuis 2007, revenant de 6 à 3 % du PIB. Le marché du travail recrée des emplois, permettant la décrue du chômage jusqu’à 7,8 % de la population active. Et surtout, le patrimoine des Américains, après cinq années d’une descente aux enfers qui l’a amputé de près de 10 %, augmente de nouveau en raison de la hausse des marchés financiers et de la sortie de crise de l’immobilier : le prix des maisons augmente régulièrement, tandis que le stock des logements disponibles diminue. Dans le même temps, l’endettement des ménages a été réduit de 134 à 113 % de leur revenu disponible. Dès lors, rien ne s’oppose au redémarrage de la consommation, qui se traduit par la hausse régulière des ventes de maisons et de voitures, passées de 11 à 14,5 millions de véhicules.
La reprise américaine comporte sa part de fragilité, avec la montée de la pauvreté et de la dette publique. Deux déséquilibres majeurs entraveront durant de longues années l’économie américaine. Le premier est le sous-emploi, qui touche près de 15 % de la population active. Compte tenu des limites strictes de l’indemnisation du chômage, il en résulte une progression de la pauvreté : 47 millions d’Américains dépendent aujourd’hui de l’aide alimentaire, contre 27 millions il y a cinq ans. Le second talon d’Achille de l’économie américaine provient du niveau vertigineux du déficit (7,5 % du PIB) et de la dette publics (103 % du PIB). Ce déficit a justifié la dégradation de la notation financière des États-Unis en août 2011, pour la première fois depuis l’apparition des agences de notation, il y a 70 ans. Encore convient-il de rappeler que le cumul de la dette publique et privée – hors entreprises financières – atteint 2,5 fois le produit national aux États-Unis, contre 2,7 fois dans la zone euro et 4 fois au Japon. Les finances publiques représentent assurément une épée de Damoclès pour la reprise, du fait du mur fiscal qui se présentera au début de 2013 avec le déclenchement, en l’absence d’accord budgétaire, de 220 milliards de hausses d’impôts et de 70 milliards de coupes dans les dépenses, soit un choc de 4 points du PIB qui précipiterait les États-Unis dans une nouvelle récession. Des marges de manoeuvre existent cependant tant en matière de hausse des prélèvements – limités à 25 % du PIB, contre 35 % dans l’OCDE, 45 % en Europe et 52 % en France – que de coupes dans les dépenses, avec le désengagement des guerres d’Irak et d’Afghanistan, dont le coût s’est élevé à 1 400 milliards de dollars depuis 2001.
Le redémarrage des États-Unis est durable, car aidé par la reconstitution d’une offre compétitive et par la renaissance de l’industrie. Le moteur de la reprise se trouve dans le redressement de l’industrie et de la compétitivité américaines autour de quatre leviers. Le premier, décisif, consiste dans la baisse des coûts de production du fait des gains de productivité du travail et de l’effondrement du prix de l’énergie, autorisé par le gaz et le pétrole de schiste, dont l’exploitation crée un contre-choc énergétique. Le différentiel des coûts manufacturiers avec la Chine a été réduit à moins de 10 %, favorisant les relocalisations d’activités. Deuxième atout, le financement des entreprises est assuré par leur retour à la profitabilité, par la vitalité des marchés de capitaux, par la restructuration et la recapitalisation des banques, qui permettent une amélioration continue des conditions de crédit. Troisième pilier, la priorité à l’innovation de l’énergie et aux technologies de l’information, illustrée par le formidable succès d’Apple ou par la résurrection de l’industrie automobile. Enfin, tous ces progrès, amplifiés par la gestion agressive du dollar, contribuent à la hausse des exportations, y compris dans le domaine de l’énergie, grâce aux hydrocarbures non conventionnels.
Le pari de la reflation effectué par l’administration Obama et par la FED dirigée par Ben Bernanke est donc en passe d’être gagné. Le risque d’une grande déflation comparable à celle des années 30 a été conjuré par une politique économique originale. L’originalité de ce keynésianisme consiste dans le fait qu’il a été mis au service d’une politique de l’offre, visant à la reconstitution rapide des profits, de la capacité d’investissement et d’innovation des entreprises, ainsi qu’au redéploiement de l’appareil productif américain dans la mondialisation. Quatre leçons émergent ainsi de la reprise américaine :
- La politique économique, si elle est cohérente, reste efficace face aux chocs du capitalisme universel.
- La priorité doit être accordée à la reconstitution de l’offre productive, qui fonde la diminution du chômage et le désendettement de l’État.
- L’industrie conserve un rôle moteur dans l’activité et l’énergie reste clé pour la compétitivité.
- Il n’existe pas de fatalité au déclin des pays développés. Dans la compétition pour le leadership du XXIe siècle, c’est la capacité à réformer les modèles politiques, économiques et sociaux qui décidera de la hiérarchie des puissances. Et les États-Unis font encore la course en tête
(Chronique parue dans Le Point du 1er novembre 2012)