La dégradation de la notation financière de la France et de 9 des 17 membres de la zone euro acte leur déclassement en raison de leur échec pour se réformer.
La perte par la France de sa notation AAA constitue à la fois le baromètre et le symbole de son déclin. La notation financière mesure la capacité d’une nation à rembourser ses créanciers en fonction de ses finances publiques, de la croissance potentielle et de la qualité de son gouvernement. La dette française est sortie de tout contrôle en raison de sa dynamique (86 % du PIB, avec une hausse de 640 milliards d’euros depuis 2007), mais surtout du niveau record des dépenses et des recettes publiques, respectivement 56,6 % et 49 % du PIB. La croissance potentielle est inférieure à 1 % du fait de l’euthanasie des entreprises, du travail, de l’investissement et de l’innovation. La dégradation financière de la France sanctionne ainsi la faillite d’un modèle de croissance à crédit, fondé sur la consommation alimentée par des transferts sociaux (33 % du PIB) eux-mêmes financés par la dette publique. De même, la dégradation en chaîne de la majorité des pays de la zone euro résulte du caractère insoutenable des principes fixés par le traité de Maastricht, de l’incapacité à gérer le défaut organisé de la Grèce – avec l’impasse des négociations avec les créanciers – et à apporter une solution au financement des États, de la divergence accélérée entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, de la rechute dans la récession du fait de la multiplication de programmes d’austérité et de l’effondrement du crédit.
Sous la dégradation pointe le risque d’une crise de solvabilité de la France et d’un éclatement de la zone euro. La France se trouve menacée à terme d’insolvabilité du fait du ciseau entre l’explosion du coût de la dette et la stagnation économique. D’un côté, le coût du financement de l’État, des collectivités locales et des entreprises publiques, mais aussi des banques va continuer à se tendre. La France est particulièrement exposée, car sa dette est souscrite à très court terme et se trouve détenue à 70 % par des investisseurs étrangers, la hausse de 1 point de taux entraînant 3 milliards de charge supplémentaire. De l’autre, la dette publique approche le seuil de 90 % du PIB à partir duquel elle pèse négativement sur la croissance et l’emploi. En Europe, la France est reléguée loin derrière l’Allemagne, qui assume seule le leadership de l’Europe continentale. Sur le plan mondial, elle s’apprête à être dépassée par le Brésil puis à sortir des dix premières puissances économiques au cours de la décennie 2010. Pour sa part, la zone euro va droit à l’éclatement si elle continue à accumuler des sommets de la dernière chance qui décident de tout sauf de la question décisive du financement des États en difficulté.
Le contraste n’a jamais été plus grand entre la gravité des périls et la légèreté d’une campagne présidentielle placée sous le signe de l’inconséquence et du vide. Or, loin d’exposer des projets cohérents de redressement du pays et de sauvetage de la zone euro, les candidats communient dans la démagogie. Du côté du président candidat, une avalanche de mesures incohérentes dont la seule logique réside dans la triangulation, à l’image de la taxe Tobin dans un seul pays, qui ignore superbement la nécessité pour une France surendettée et dégradée de lever sur les marchés 180 milliards d’euros en 2012 et 220 milliards en 2013. Du côté de l’opposition, une stratégie qui s’en remet à la crise pour sortir le sortant et fait l’impasse sur tout programme crédible. Le tout pour le plus grand bonheur des candidats protestataires.
Le redressement de la France et la réforme de la zone euro doivent devenir le coeur de la campagne présidentielle de 2012. Il est possible de diminuer la dette publique de 25 à 40 % et de reconquérir la notation AAA en dix ans. Pour la France, cela suppose un effort de 120 milliards au cours du prochain quinquennat qui devra être compatible avec la relance de la croissance à travers une stratégie de reflation, le redressement de la compétitivité des entreprises, la lutte contre le chômage indissociable d’un nouveau pacte social. Dans la zone euro, la dégradation de la France dresse l’acte de décès définitif du fonds européen qui rend d’autant plus urgente la monétisation des dettes par la BCE, seule à même de permettre aux États et aux banques de lever les 950 milliards d’euros qui leur sont nécessaires en 2012. L’Allemagne a magnifiquement réussi sa réunification et son redéploiement dans la mondialisation mais conduit la zone euro à sa perte par ses principes monétaristes en décalage avec les risques et les chocs du XXIe siècle. La dégradation financière de la France et de la zone euro peut être un électrochoc salutaire si elle recentre l’élection présidentielle sur la fin de la croissance à crédit et la réinvention du modèle français et si elle oblige les dirigeants de la zone euro à apporter une réponse immédiate au problème du financement des États et de la croissance, au lieu de négocier pour un avenir lointain des compromis mort-nés entre la religion française de l’État et la religion allemande de la monnaie.
(Chronique parue dans Le Point du 19 janvier 2012)