L’activisme forcené déployé par Jacques Chirac et Dominique de Villepin pour contrer les Etats-Unis à l’Onu est contre-productif sur le plan international.
L’activisme forcené déployé par Jacques Chirac et Dominique de Villepin pour contrer les Etats-Unis à l’Onu est contre-productif sur le plan international. Et, surtout, il est peu crédible, tant il offre un contraste saisissant avec la tétanie du gouvernement conduit par Jean-Pierre Raffarin, confronté à la dégradation de la situation intérieure et aux réformes indispensables pour y répondre.
Sur le plan diplomatique, trois conditions étaient requises pour tenter d’encadrer efficacement la dérive impérialiste et guerrière de l’administration Bush : opposer la raison aux passions nationalistes et au vertige de l’utilisation inconsidérée d’une supériorité militaire absolue ; présenter des propositions concrètes pour neutraliser les risques stratégiques que présente l’Irak de Saddam Hussein – réels quoique non prioritaires à l’échelle du monde ; conforter les cadres de la sécurité collective et privilégier l’unité de la communauté internationale et de l’Europe pour faire pièce à l’unilatéralisme américain.
Or la diplomatie française a suivi le parti inverse. A l’appel à la croisade a répondu l’alignement sur le pacifisme allemand, moralement, politiquement et historiquement insoutenable. Le refus a priori de la menace militaire et de toute forme d’ultimatum a réduit l’efficacité des inspections et compromis les mesures de désarmement de l’Irak. Enfin, le blocage de l’Onu et de l’Otan, et plus encore la division de l’Europe (l’admonestation provocatrice des nouvelles démocraties n’a rien arrangé) ont achevé de déstabiliser les institutions majeures du multilatéralisme que nous prétendions défendre. La France a ainsi reproduit à petite échelle l’arrogance, l’intransigeance et le nationalisme qu’elle a critiqués à bon droit dans l’attitude américaine.
Le volontarisme affiché face à Washington se trouve par ailleurs ruiné par l’absence de stratégie et d’action devant la dégradation accélérée de la situation économique et sociale. Quatre principes servent de doctrine au gouvernement Raffarin en la matière.
Le mensonge, d’abord. Vis-à-vis des Français, avec l’imputation à la crise irakienne de l’effondrement de la croissance et de la remontée du chômage. Ou encore l’affirmation que la décentralisation va créer 1 % de croissance supplémentaire. Vis-à-vis des partenaires européens, avec de nouvelles estimations biaisées de la croissance (1,5 %) et du déficit public (3,4 % du PIB) pour 2003. Alors que la première n’atteindra pas 1 % et que le second ne pourra être inférieur en l’état à 3,8 %.
L’utopie, avec l’idée qu’il suffit de laisser du temps au temps pour retrouver une croissance de 3 %, une situation de plein-emploi et des finances publiques miraculeusement conformes aux critères de Maastricht dès 2004.
L’indétermination, avec la permanente valse-hésitation sur les mesures budgétaires, la relance des dépenses et la diminution des recettes. Valse-hésitation fiscale, ensuite (la baisse de l’impôt sur le revenu alternant avec les projets de hausse de la CSG, la non-réforme de l’ISF succédant à l’absurde suppression de la TIPP flottante en période de choc pétrolier). Indétermination sociale, encore : sortie factice des 35 heures et de la loi de modernisation sociale, réduction drastique des emplois aidés en phase de remontée brutale du chômage. Hésitation, enfin et surtout, avec la peur panique des syndicats, qui se trouve au fondement de tous les renoncements et du blocage des réformes, à commencer par celle de la fonction publique.
La réforme de l’Etat constitue la condition préalable à la mobilisation des dépenses et des déficits publics au service de la croissance comme à la reconstitution progressive d’un tissu entrepreneurial et d’une offre de travail, vitale pour le retour à la croissance intensive et au plein-emploi. Or, qu’il s’agisse des effectifs de la fonction publique (1 089 suppressions de postes pour 58 000 départs en 2003), de la réforme des retraites (avec l’alignement nécessaire du public sur le privé), en passant par la dérive des entreprises publiques (11 milliards d’euros de pertes consolidées en 2001, de l’ordre de 25 en 2002), le gouvernement obéit à deux mots d’ordre : « Tout sauf la réforme de l’Etat » et « jamais sans mon syndicat ».
« Un prince qui a peur est renversable à tout moment », remarquait Napoléon. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a tout autant besoin d’être soutenu que la croissance et l’emploi, car il chute à la même vitesse. Cela devrait à tout le moins conduire à modérer la virulence des prises de position françaises à l’égard des Etats-Unis, tant il n’est pas de critique crédible du leadership américain – si légitime soit-elle sur le fond – sans une forte légitimité, un Etat performant, une économie vigoureuse et une cohésion sociale assurée. Toutes choses qui font aujourd’hui cruellement défaut.
(Chronique parue dans Le Point du 14 mars 2003)
> Lepoint.fr